Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/09/2021

Le ronron de l'homme programmé

"L'habitude d'agir ou de penser toujours de la même manière" est sans doute une des plaies de nos sociétés humaines. Outre que les habitudes et les préjugés sont "considérés comme faisant obstacle à la création et au progrès" (Le Petit Robert), ils sont aussi un indice révélateur d'une sorte de "programme" qui comme en informatique "effectue une opération répétée souvent". Et qui dit programme dit programmation.

Cette programmation - ou peut-être faut-il l'appeler éducation, instruction, formation... - est à rapprocher de la planification par une organisation administrative, technique... Objectifs, moyens, délais... sont les mots-clés. Elle consiste à coordonner, à réguler, à canaliser le comportement humain et l'activité humaine. Au point que le planning est devenu l'outil incontournable de tout être humain, que le planning est dans toutes les têtes.

L'ordonnancement d'une journée ou d'une année humaine est ainsi fixé, pour ne pas dire figé. Et il n'y a guère de place pour l'initiative, l'innovation, la découverte. Il n'y a plus place pour l'improvisation. Les vies bien ordonnées redoutent le changement, la nouveauté, l'inconnu. La programmation a eu raison en partie de ce qui fait le sel de l'existence : l'imprévu, l'inattendu. L'homme y a perdu aussi peut-être sa spontanéité.

L'organisation du travail ("coordination des activités et des tâches en vue d'accroître la productivité") et l'organisation des loisirs ("partie de la politique de l'environnement relative aux activités non imposées, récréatives"), voilà ce qui régit la condition humaine. Au travail comme dans ses loisirs, la programmation ou la "surorganisation" conduit l'homme à ne plus pouvoir penser, parler et agir que dans le cadre imparti.

Dans ce genre d'organisation sociale et politique qui a droit de regard sur ses membres, la manière d'être, de vivre, de se conduire s'impose. L'homme d'ailleurs se sait surveillé. Il surveille ce qu'il fait, ce qu'il dit, il se surveille. En liberté surveillée, il doit rendre compte régulièrement de ses activités et de ses opinions. Il n'arrive même plus parfois à se libérer, à se rendre libre de toute occupation. Enfermé dans ses servitudes.

Tout est prévu, tout est organisé dans nos sociétés "formatées", pour l'occupation des individus noyés dans la masse. Et le programme interne de chacun d'entre eux lui dicte sa vie qui ainsi «se déroule, toujours pareille, avec la mort au bout» écrivait Maupassant. Une succession sans interruption d'actes se répétant indéfiniment, un pilotage automatique où la conscience, la réflexion et la volonté ne semblent pas indispensables.

25/04/2018

Pas d'effet sans cause

«Dieu se rit des créatures qui déplorent les effets dont elles continuent à chérir les causes.» Cette citation de Jacques Bénigne Bossuet dans le livre Démolition avant travaux de Philippe Meyer chez Robert Laffont, convient parfaitement à notre époque où l'inconséquence est partout, par le "manque de suite dans les idées, de réflexion dans la conduite", par le fait de "ne pas calculer les conséquences de ses actes ou de ses paroles"...

C'est ainsi que l'on peut déplorer toutes sortes de problèmes politiques, économiques, financiers, environnementaux, de société, de santé, psychologiques..., tout en chérissant notre mode de vie, notre organisation du travail, notre modèle économique ou notre fameux "modèle social" que le monde entier nous envierait et qui fait eau de toutes parts, ou tout au moins sans s'attaquer aux abus, gabegies, inégalités et injustices...

Il n'y a pas d'effet sans cause, pas de fumée sans feu. C'est le principe de causalité ou de raison suffisante. Le philosophe et ancien ministre de l'Éducation nationale Luc Ferry, interviewé par le magazine L'Expansion en juin 2006, évoquait «une critique du libéralisme qu'un libéral comme moi doit prendre au sérieux». En effet disait-il, «beaucoup de chefs d'entreprise n'ont pas conscience de la contradiction dans laquelle ils se trouvent.

«La plupart du temps, ils déplorent les vicissitudes du temps présent sur l'air du "tout fout le camp", mais, d'un autre côté, ils ne se rendent pas compte que l'effondrement d'un certain nombre de valeurs fondamentales auxquelles ils tiennent est directement lié à la naissance d'un univers de la consommation et du zapping qu'ils ont eux-mêmes créé.» Le lien de cause à effet ne leur saute pas aux yeux, par aveuglement en partie.

«Si nous avions dans nos têtes les mêmes valeurs que nos arrière-grands-mères, expliquait Luc Ferry, nous ne consommerions pas. Nous trouverions même que ces nouveaux temples que sont les centres commerciaux sont avilissants et obscènes. Le capitalisme est une révolution permanente, une érosion continue des traditions, et on ne peut pas avoir, comme disent joliment les Italiens, "le tonneau plein et la femme ivre".»

Luc Ferry recommandait l'élaboration d'«un projet (...) qui donne à l'avenir un autre horizon que celui de la seule consommation». Les candidats favoris de l'élection présidentielle de 2007 ne l'ont pas entendu et ceux de 2012 et 2017 pas davantage. Mais peut-être aussi serait-il utile d'écouter la recommandation de Bergson : «Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d'action», pour éviter les contradictions et le danger qui vient de l'enchaînement des causes et des effets.

22/06/2012

Le travail peut tuer

Le suicide au travail revient périodiquement sur le devant de l'actualité, avec son lot de questions maintes fois posées et de réponses maintes fois apportées.

Un chiffre accablant pour commencer : en 2002, 41 millions de salariés étaient victimes du stress dans l'Union européenne (UE). Et qui dit stress dit angoisses, irritabilité, mauvais sommeil, fatigue chronique, troubles digestifs ou musculo-squelettiques..., mais aussi consommation d'alcool, de tabac, de médicaments, de drogues..., jusqu'à l'ulcère, la dépression, l'infarctus, les maladies cardio-vasculaires... et même le cancer, le suicide.

Les causes sont connues. Elles relèvent pour beaucoup de la dégradation des rapports sociaux et des conditions de travail dans nombre d'entreprises. L'absence d'autonomie, l'hyperspécialisation des postes, la répétitivité des tâches, l'accélération des cadences, l'augmentation des contraintes, l'exposition à toutes sortes de risques et de violences... en sont quelques exemples.

S'y ajoutent, notamment pour les cadres, un manque de communication, de reconnaissance et de perspectives, une exclusion des processus de prise de décision, une difficulté de concilier vie privée et vie professionnelle, de nouer des relations de confiance avec leurs collègues, un excès de travail accompli dans la précipitation ; le tout baigné dans une inquiétude diffuse quant à leur situation.

Et ce constat ne vient pas de mouvements contestataires, mais de sondages ou d'études réalisées par des psychosociologues et des psychiatres. Au final, le stress expliquait le souhait de près de 50 % des cadres de changer de travail. Et pour l'UE, son coût s'élèvait à 20 milliards d'euros par an. Ce chiffre ne tenant compte que de l'absence au travail (pour moitié due au stress) et des frais médicaux.

Il faudrait encore comptabiliser la perte de productivité, en soulignant l'ironie de la situation puisque c'est justement pour augmenter cette productivité que des entreprises ont rendu impossible la vie de leurs salariés. Efficacité, compétitivité, rentabilité..., que de crimes on commet en leurs noms ! Quelle est donc cette société déshumanisée qui permet le sacrifice de certains des siens au dieu Profit !

Allons-nous encore longtemps laisser des nôtres se tuer au travail ou abréger leur vie par la fatigue, les excès, le souci... ? Le pire peut-être, c'est que conscientes de cet état de fait, ces entreprises ne cherchent même pas à modifier l'organisation du travail mais plutôt à aider leurs salariés à s'y adapter, à supporter. Alors qu'il est grand temps de passer du "beaucoup travailler" à "bien travailler".