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25/04/2018

Pas d'effet sans cause

«Dieu se rit des créatures qui déplorent les effets dont elles continuent à chérir les causes.» Cette citation de Jacques Bénigne Bossuet dans le livre Démolition avant travaux de Philippe Meyer chez Robert Laffont, convient parfaitement à notre époque où l'inconséquence est partout, par le "manque de suite dans les idées, de réflexion dans la conduite", par le fait de "ne pas calculer les conséquences de ses actes ou de ses paroles"...

C'est ainsi que l'on peut déplorer toutes sortes de problèmes politiques, économiques, financiers, environnementaux, de société, de santé, psychologiques..., tout en chérissant notre mode de vie, notre organisation du travail, notre modèle économique ou notre fameux "modèle social" que le monde entier nous envierait et qui fait eau de toutes parts, ou tout au moins sans s'attaquer aux abus, gabegies, inégalités et injustices...

Il n'y a pas d'effet sans cause, pas de fumée sans feu. C'est le principe de causalité ou de raison suffisante. Le philosophe et ancien ministre de l'Éducation nationale Luc Ferry, interviewé par le magazine L'Expansion en juin 2006, évoquait «une critique du libéralisme qu'un libéral comme moi doit prendre au sérieux». En effet disait-il, «beaucoup de chefs d'entreprise n'ont pas conscience de la contradiction dans laquelle ils se trouvent.

«La plupart du temps, ils déplorent les vicissitudes du temps présent sur l'air du "tout fout le camp", mais, d'un autre côté, ils ne se rendent pas compte que l'effondrement d'un certain nombre de valeurs fondamentales auxquelles ils tiennent est directement lié à la naissance d'un univers de la consommation et du zapping qu'ils ont eux-mêmes créé.» Le lien de cause à effet ne leur saute pas aux yeux, par aveuglement en partie.

«Si nous avions dans nos têtes les mêmes valeurs que nos arrière-grands-mères, expliquait Luc Ferry, nous ne consommerions pas. Nous trouverions même que ces nouveaux temples que sont les centres commerciaux sont avilissants et obscènes. Le capitalisme est une révolution permanente, une érosion continue des traditions, et on ne peut pas avoir, comme disent joliment les Italiens, "le tonneau plein et la femme ivre".»

Luc Ferry recommandait l'élaboration d'«un projet (...) qui donne à l'avenir un autre horizon que celui de la seule consommation». Les candidats favoris de l'élection présidentielle de 2007 ne l'ont pas entendu et ceux de 2012 et 2017 pas davantage. Mais peut-être aussi serait-il utile d'écouter la recommandation de Bergson : «Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d'action», pour éviter les contradictions et le danger qui vient de l'enchaînement des causes et des effets.

16/05/2014

"La disparition programmée de la rébellion"

Les voyez-vous ces dénonciateurs toujours prêts à s'élever publiquement contre des injustices, ces intellectuels engagés toujours prêts à défiler ou à signer une pétition, ces rebelles toujours prêts à s'indigner des atteintes à la liberté, ces artistes toujours prêts à transgresser les règles, qui dans leur vie privée et/ou professionnelle sont des monstres de partialité, d'égoïsme, d'intolérance, de conformisme ?! Chez eux, tout est faux.

L'historien Emmanuel de Waresquiel, il y a huit ans dans Le Figaro Magazine, définissait ainsi le faux rebelle : «Il incarne la figure de Janus en cumulant la possession des instruments du pouvoir, médiatique ou économique notamment, et la possibilité de tenir un discours considéré comme rebelle. Il est l'émanation d'une société très normée qui se donne une fausse respiration à travers une dénonciation qui n'en est pas une». Une comédie !

«(...) On assiste depuis trente ans, continuait Emmanuel de Waresquiel, à une récupération par la société de consommation de la technique du détournement des images et des actes en un simulacre de révolte. La révolte comme contre-valeur est le dernier masque de l'argent (...).» Et «Les rebelles sont devenus autant d'icônes au service de la puissance de la norme assistée par celle de l'argent», autant d'auxiliaires des pouvoirs.

La révolte - fonds de commerce d'une société de la résignation, de la soumission, où «(...) le pouvoir n'est plus dans les mots (...)» -, est ainsi réduite à des poses. Et la "Rebelle attitude" devient une "Positive attitude" puisqu'elle fait consommer. La rébellion véritable est ainsi peut-être vouée à la disparition y compris dans l'art où pourtant elle a été élevée au rang de mythe, avec son "avant-garde", et y compris à l'âge de l'adolescence.

La révolte contre ses parents ou la société serait ainsi comme étouffée dans l'œuf et la transgression artistique reconnue officiellement. Dans Le Monde, le juriste Bernard Edelman* pointait cette dérive : «Tout se passe comme si l'on avait oublié qu'il n'y a pas de transgression sans sanction ! On veut à la fois supprimer la sanction et institutionnaliser la transgression, tout en garantissant qu'elle demeure bien une transgression...

«Il y a là des exigences incompatibles. Je ne peux pas vous demander de l'argent pour me révolter contre vous tout en exigeant que vous me garantissiez mon droit à la révolte ! Les artistes ne se rendent plus compte que ce système est en un sens totalitaire. (...) Il est catastrophique (…), que la principale demande des artistes soit d'être subventionnés. Pour moi, c'est un abandon total de la vraie révolte individuelle.»

* a écrit avec la sociologue Nathalie Heinich L’Art en conflits - éditions La Découverte

17/12/2013

Lutter contre le mal et pour le bien de l'homme

«(...) Le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais» écrit saint Paul dans son Épître aux Romains (chapitre 7, verset 19). Le mal est autour de nous, le mal est en nous ; nous péchons «en pensée, en parole, par action et par omission». Et Victor Hugo confirme : «Personne n'est méchant et que de mal on fait !». Notre bonne volonté ne suffit pas, pire elle peut être à l'origine de maux insoupçonnés.

«La bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté» disait Albert Camus. Car cette "disposition à bien faire" peut conduire à en faire trop, à faire du zèle, à ne pas faire de détail, à nous rendre peu regardants sur les "indications", les "contre-indications", les "précautions d'emploi", les "mises en garde spéciales", les "interactions", les "effets indésirables" de bien des actions, même "bonnes", que nous entreprenons.

"On ne fait pas d'omelette sans casser d'œufs", d'accord, mais quand les œufs ce sont des hommes et que ce sont nos proches ou nous-mêmes les sacrifiés, par exemple au "progrès", sommes-nous toujours d'accord ? Les "Globalement positif" négligent le négatif grandissant. "La bonne cause" ne peut justifier les injustices, les abus voire les crimes. Le malheur, la maladie ou la mort prématurée ne sont pas des détails de l'histoire.

Rousseau pensait qu'«Il n'y a point de vrai progrès de raison dans l'espèce humaine parce que tout ce qu'on gagne d'un côté on le perd de l'autre». Ainsi, «Quelque importance que nous attachions à la science et au pouvoir humains, il est pourtant évident que seule une humanité poursuivant des fins morales peut bénéficier dans une pleine mesure des progrès matériels et triompher en même temps des dangers qui les accompagnent».

Dixit Albert Schweitzer, qui en déduisait que «La condition de toute vraie civilisation» réside dans «l'éthique du respect de la vie» qui «contient (...) en soi tout ce qui peut se révéler comme amour, dévouement, compassion à la douleur, sympathie dans la joie et le commun effort». Pour lui, le mal est tout ce qui attente à la vie, à la nature et à la dignité humaines, mais aussi tout ce qui attente à toute vie et à la nature.

Et il concluait «(...) qu'avec les progrès de la science et de la puissance, la civilisation véritable n'est pas devenue plus aisée à atteindre, mais au contraire plus difficile» ; «(...) que nous avons tous à lutter contre les circonstances pour garder notre humanité et que nous devons nous appliquer à transformer la lutte quasi désespérée menée par tant d'êtres pour conserver leur personnalité humaine dans des circonstances sociales défavorables, en un combat qui ait des chances de succès».