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27/09/2021

Nés pour faire un monde meilleur

«Lorsque l'enfant paraît (...)», lorsqu'il vient au monde, on dit que le père souvent lève le nouveau-né vers le ciel. Peut-être pour le montrer au monde et lui montrer le monde. Peut-être pour le confier à la providence, divine ou non. Peut-être aussi tout simplement pour l’élever plus haut que lui et s'engager à en faire un homme meilleur que lui, qui le temps venu, prendra en charge une part des affaires humaines de ce bas monde.

«Laissées à elles-mêmes, les affaires humaines, écrit Hannah Arendt dans Condition de l'homme moderne, ne peuvent qu'obéir à la loi de la mortalité, la loi la plus sûre, la seule loi certaine d'une vie passée entre naissance et mort.» Mais elle ajoute : «C'est la faculté d'agir qui interfère avec cette loi parce qu'elle interrompt l'automatisme inexorable de la vie quotidienne (...)» et brise «le cycle éternel du devenir», «la fatalité».

Ce qui fait l'éternité de l'homme peut-être, c'est d'avoir une action sur le monde, de le marquer de son empreinte, de laisser une trace de son passage. Non pas "faire avec", se contenter du monde, mais "faire", accomplir, "refaire le monde" : "imaginer des solutions pour le transformer en l'améliorant". Non lui redonner l'apparence du neuf, non "refaire à neuf", mais "faire du neuf", "changer le monde", "inventer un monde nouveau".

Hannah Arendt dit encore : «(...) les hommes, bien qu'ils doivent mourir, ne sont pas nés pour mourir, mais pour innover». Mais ce monde plus beau à faire ensemble, ne pourra être atteint tant que des hommes ne feront que se servir du monde, l'utiliser à leur profit, l'exploiter, le vouant ainsi à la dégradation, à l'épuisement, à la destruction. Alors que le pouvoir d'agir sur le monde, de le renouveler, de le régénérer, élève l'homme.

Mais ce qu'on n'a pas pu, su ou voulu faire, peut-être nos descendants le feront. L'enfant devenu grand aura ce pouvoir «de commencer du neuf». Car «Le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, "naturelle", c'est finalement le fait de la natalité (...). (...) c'est la naissance d'hommes nouveaux, le fait qu'ils commencent à nouveau, l'action dont ils sont capables par droit de naissance».

«Seule l'expérience totale de cette capacité peut octroyer aux affaires humaines la foi et l'espérance (...), conclut Hannah Arendt. C'est cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Evangiles annonçant leur "bonne nouvelle" : "Un enfant nous est né".» L'enfant nous fait croire à la promesse de l'avènement d'un monde meilleur.

15/09/2021

Le ronron de l'homme programmé

"L'habitude d'agir ou de penser toujours de la même manière" est sans doute une des plaies de nos sociétés humaines. Outre que les habitudes et les préjugés sont "considérés comme faisant obstacle à la création et au progrès" (Le Petit Robert), ils sont aussi un indice révélateur d'une sorte de "programme" qui comme en informatique "effectue une opération répétée souvent". Et qui dit programme dit programmation.

Cette programmation - ou peut-être faut-il l'appeler éducation, instruction, formation... - est à rapprocher de la planification par une organisation administrative, technique... Objectifs, moyens, délais... sont les mots-clés. Elle consiste à coordonner, à réguler, à canaliser le comportement humain et l'activité humaine. Au point que le planning est devenu l'outil incontournable de tout être humain, que le planning est dans toutes les têtes.

L'ordonnancement d'une journée ou d'une année humaine est ainsi fixé, pour ne pas dire figé. Et il n'y a guère de place pour l'initiative, l'innovation, la découverte. Il n'y a plus place pour l'improvisation. Les vies bien ordonnées redoutent le changement, la nouveauté, l'inconnu. La programmation a eu raison en partie de ce qui fait le sel de l'existence : l'imprévu, l'inattendu. L'homme y a perdu aussi peut-être sa spontanéité.

L'organisation du travail ("coordination des activités et des tâches en vue d'accroître la productivité") et l'organisation des loisirs ("partie de la politique de l'environnement relative aux activités non imposées, récréatives"), voilà ce qui régit la condition humaine. Au travail comme dans ses loisirs, la programmation ou la "surorganisation" conduit l'homme à ne plus pouvoir penser, parler et agir que dans le cadre imparti.

Dans ce genre d'organisation sociale et politique qui a droit de regard sur ses membres, la manière d'être, de vivre, de se conduire s'impose. L'homme d'ailleurs se sait surveillé. Il surveille ce qu'il fait, ce qu'il dit, il se surveille. En liberté surveillée, il doit rendre compte régulièrement de ses activités et de ses opinions. Il n'arrive même plus parfois à se libérer, à se rendre libre de toute occupation. Enfermé dans ses servitudes.

Tout est prévu, tout est organisé dans nos sociétés "formatées", pour l'occupation des individus noyés dans la masse. Et le programme interne de chacun d'entre eux lui dicte sa vie qui ainsi «se déroule, toujours pareille, avec la mort au bout» écrivait Maupassant. Une succession sans interruption d'actes se répétant indéfiniment, un pilotage automatique où la conscience, la réflexion et la volonté ne semblent pas indispensables.

31/08/2021

Carpe diem

Les sentez-vous venir ces jours de rentrée ? Ils sont là à l'horizon, plus courts et plus sombres, emplis de routines et d'occupations stériles. Inutile d'espérer, ils viendront aussi sûrement que la faim ou la mort. Les beaux jours sont sur le déclin mais indolents encore sous le soleil, nous tentons de refuser l'évidence. La vie reprend son cours inexorablement. Pas de répit, ou alors de courte durée.

"Un instant monsieur le bourreau", serions-nous tentés d'implorer, mais celui-ci le sablier en main nous fait signe qu'il est temps. Pourquoi donc n'est-il pas possible de prolonger ces bons moments ? On connaît les réponses toutes faites : "Toutes les bonnes choses ont une fin" ou "Si on ne travaillait pas, on n'apprécierait plus". Pas sûr ! Les jours passent, les années passent, que demeure-t-il ?

Des souvenirs, des photos, des films que l'on se repasse, le sourire aux lèvres, nostalgiques. Que ce fut bon d'être ensemble, en couple, en famille, entre amis, pour partager ces heures de liberté. Les enfants qui grandissaient, les parents qui vieillissaient, et nos chers disparus ; tout le monde est là, comme si c'était hier. «Je me souviens Des jours anciens Et je pleure» écrivait Verlaine.

D'autres viendront après nous sur nos traces à jamais effacées. Et là où nous fûmes heureux, d'autres le seront. Que restera-t-il de nos amours et de ces beaux jours ? «Carpe diem», cueille le jour disait Horace dans ses Odes, ce qui pourrait se traduire par "mets à profit le jour présent". La vie est courte, hâtons-nous d'en jouir en tirant de chaque chose sa «substantifique moelle»*, ce qu'il y a d'essentiel.

Les vacances font partie de ces occasions de "retrouvailles" avec soi-même et ceux qu'on aime ? Elles sont un moment privilégié pour faire le point, s'interroger sur le sens de son existence et prendre de bonnes résolutions. La suractivité voulue par notre société nous interdit de nous concentrer sur l'essentiel et de nous demander si nous avons choisi et choisissons vraiment librement notre vie.

Mais la rentrée est déjà là et nous prend à la gorge. La routine et les occupations stériles de nouveau décideront de notre vie qui ira ainsi bien souvent jusqu'à son terme, entre désir de révolte et résignation. Et de renoncement en renoncement, minés par les habitudes et les obligations, nous croirons être heureux parce que nous serons immobiles**.

* Rabelais - ** d’après Tristan Bernard