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28/04/2025

A Dieu François, frère du peuple

Il me souvient d’une boutade de mon enfance. Une histoire sous forme d’un dialogue entre deux personnages. « Un nouveau pape est appelé à régner. » « Araignée, quel drôle de nom ! Pourquoi pas libellule ou papillon ?! ». Et voilà qu’il y a douze ans, un nouveau pape était appelé François en hommage à François d’Assise, et qu'il vient de nous quitter. Et pourquoi pas François de Sales ou François Xavier ?

Le pape François avait répondu lors de son audience aux représentants des moyens de communication : « C’est pour moi l’homme de la pauvreté, l’homme de la paix, l’homme qui aime et préserve la création (…). Ah, comme je voudrais une Église pauvre et pour les pauvres ! ». Difficile de parler plus clair. François d’Assise était l’homme de la situation pour l’Église et pour le monde.

Celui qui en 1207, à vingt-cinq ans, s’est entièrement dépouillé pour « (…) vivre conformément au saint Évangile », ainsi qu’il l’écrivait dans son testament. Lui, Francesco Bernardone, le jeune homme riche, fils d’un marchand de drap d’Assise en Italie, a tout quitté pour "suivre Jésus". Et ses contemporains ne s’y sont pas trompés. Ils l’appelèrent « l’autre christ », « le nouveau christ ».

En 2009, pour les 800 ans de l’ordre créé par saint François d’Assise, le ministre général des franciscains revenait dans un entretien au journal La Croix sur l’identité de la famille franciscaine. Fraternité, non-violence, prière, pauvreté, liberté, amour… sont quelques-uns des mots-clés pour la cerner. Mais trois citations permettent d’aller au cœur de l’esprit franciscain.

« Pour nous, expliquait le Père Carballo, la pauvreté doit être vécue comme synonyme de liberté. Pour être vraiment libre, l’homme doit pouvoir se libérer du matérialisme. (…) notre vœu consiste à vivre "sans rien en propre", nous ouvrant ainsi à cette liberté vis-à-vis des biens matériels et de la tentation de posséder l’autre. (…) La grande tentation de l’homme contemporain est de dominer l’autre (…). »

Et continuait le ministre général, « Le drame du christianisme en Occident n’est pas de décroître, mais que nous sommes trop peu chrétiens. Pas trop peu de chrétiens, mais trop peu chrétiens ! (…) Nous devons témoigner, par nos vies et par nos paroles, que l’Évangile est encore aujourd’hui une belle et bonne nouvelle, pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui ».

L’ordre des franciscains, soulignait-il en conclusion, « se construit sur trois piliers : (…) la qualité évangélique de notre vie, les études (…), et enfin, la proximité avec les gens, particulièrement les plus pauvres ». Huit siècles que les franciscains sont les « frères du peuple ». Le pape François s’inscrivait dans cette démarche en y ajoutant la dimension environnementale apportée par Jean-Paul II.

Car dès 1979, celui-ci déclarait saint François d’Assise « patron de l’écologie » et appelait régulièrement comme en 1990 à une « conversion authentique dans la façon de penser et dans le comportement » ; « (…) en adoptant, disait Benoît XVI en 2006, un style de vie et de consommation compatible avec la sauvegarde de la Création et avec les critères de justice (…) ».

En d’autres termes, ajoutait-il en 2007, « (…) Suivre le chemin de traverse du véritable amour : un mode de vie sobre et solide, avec (…) un profond intérêt pour le bien commun ! ». Le pape François prenait le relais des propos de ses prédécesseurs pour rappeler qu’au cœur du message évangélique il y a l’esprit de pauvreté qui est absolument contraire à l’esprit de notre temps.

Rien de révolutionnaire donc ? Non, toujours aussi révolutionnaire, comme il y a 2000 ans Jésus-Christ dont les paroles, indique l’historien Jean-Christian Petitfils, « impliquent un appel à fonder les rapports sociaux sur le partage, le respect de l’autre, l’amour fraternel, le rejet de la violence des puissants. Mais la révolution annoncée est d’abord une révolution intérieure, qui doit tout transformer.

« Le renversement évangélique commence par la subversion des cœurs. » Et voilà ce qu’impliquait le choix de François d’Assise par le cardinal Jorge Mario Bergoglio : faire retour à l’Évangile, à tout l’Évangile, pour « le vivre dans sa radicalité » comme les frères franciscains. « La radicalité de l’amour absolu, note encore Jean-Christian Petitfils, exige que tout lui soit subordonné. »

25/03/2025

"L'art de plaire est l'art de tromper" (Vauvenargues)

Chercher à plaire est sans doute la grande affaire de la plupart des personnes physiques ou morales. La séduction est l'arme la plus employée pour conquérir le pouvoir, un marché, une clientèle, les cœurs, l'estime, une femme ou un homme. «La volonté de séduire, c'est-à-dire de dominer» écrivait Colette, de subjuguer les esprits. Et ajoutait Roger Caillois : «Quand il s'agit d'un art du langage, séduire c'est à la fin persuader», en douceur.

«Ce que Lionel Bellenger appelle la "persuasion-séduction", rappelle Philippe Breton dans son livre La Parole manipulée aux éditions La Découverte, est à l'œuvre "tant dans les relations interpersonnelles que dans la communication de masse, la publicité ou la politique" Au point que «Le phénomène est devenu si courant, (...) que nous finissons par ne plus le voir (...)». Son omniprésence le rend comme invisible, imperceptible.

Mais «Là où, dans les relations humaines, séduire relève de sa propre finalité, son usage stratégique dans l'action de convaincre relève systématiquement de la tromperie. Ce n'est plus plaire pour plaire, c'est plaire pour vendre, plaire pour emporter les suffrages de l'électeur, plaire pour commander. Il s'agit bien d'une stratégie de détour». Familièrement, on dirait "draguer", "faire du baratin", ou faire sa cour pour avoir une cour.

Chercher la faveur de publics divers pour se retrouver en position d'accorder des faveurs, voilà la logique de bien des politiques. Philippe Breton indique que «Bellenger insiste sur le fait que le séducteur s'adapte aux circonstances, c'est-à-dire à l'auditoire : "Le séducteur est celui qui fait ou dit au moment voulu ce qu'il faut : il fait preuve d'une totale obéissance à l'occasion... Le séducteur ressemble à tout ce qu'il approche"».

«En politique, le prototype du séducteur est le démagogue (...).» : «celui qui veut convaincre qu'il est le bon candidat ou le bon titulaire du poste qu'il occupe. Pour cela, il va faire croire à l'auditoire, par différentes stratégies, qu'il pense comme lui. Mieux : s'adressant à plusieurs auditoires, il va faire croire à chacun d'eux qu'il pense comme eux. (...) Il n'affirme pas son point de vue propre, il se coule dans le point de vue d'autrui.»

Mais à dire ce que les gens veulent entendre, "à flatter les aspirations à la facilité ou les préjugés du plus grand nombre pour accroître sa popularité, pour obtenir ou conserver le pouvoir", on finit VRP "aux mains" d'une clientèle qui "a toujours raison". De même qu'à chercher le soutien des influents, on finit "sous influence". «L'esclave n'a qu'un maître. L'ambitieux en a autant qu'il y a de gens utiles à sa fortune» écrivait La Bruyère.

27/02/2025

Se dépasser par la pensée

«Penser est autre chose que connaître (...), écrivait Hannah Arendt dans Condition de l'homme moderne. La pensée (...) n'a ni fin ni but hors de soi : elle ne produit même pas de résultats ; non seulement la philosophie utilitariste de l’homo faber, mais aussi les gens d'action, les admirateurs des succès scientifiques, ne se lassent jamais de montrer à quel point la pensée est "inutile" (...).» Inutile dans une économie de la connaissance.

Et voilà pourquoi peut-être des têtes bien pleines peuvent n'avoir aucune disposition pour penser. Hannah Arendt distingue la pensée de la faculté de connaître par la perception, la mémoire..., et du pouvoir de raisonnement logique ; cette faculté et ce pouvoir formant ce qu'on appelle couramment l'intelligence, «l'intelligence que l'on peut mesurer par des tests comme on mesure la force corporelle», tests qui permettent la sélection.

Mais poursuit-elle : «Il est évident que cette force cérébrale et les processus logiques obligatoires qu'elle engendre sont incapables d'édifier un monde, qu'ils sont aussi étrangers-au-monde que les processus obligatoires de la vie, du travail et de la consommation». Sans pensée, impossible que l'on «transcende à la fois le pur fonctionnalisme des choses produites pour la consommation et la pure utilité des objets produits pour l'usage».

Et c'est pourtant dans cette transcendance que réside le sens. C'est la pensée qui donne un sens et sans doute son absence qui fait l'absence de sens actuelle. L'esprit boutiquier et bourgeois qui domine ("étroit et corporatiste", "conformiste et sans idéal, préoccupé de son seul confort matériel", voire "incapable d'apprécier ce qui est désintéressé, gratuit, esthétique") n'est peut-être pas étranger à la faillite de la pensée et à l'état du monde.

Léon Bloy dans Exégèse des lieux communs notait dans sa préface : «Le vrai Bourgeois, c'est-à-dire, dans un sens moderne et aussi général que possible, l'homme qui ne fait aucun usage de la faculté de penser et qui vit ou paraît vivre sans avoir été sollicité, un seul jour, par le besoin de comprendre quoi que ce soit, l'authentique et indiscutable Bourgeois est nécessairement borné dans son langage à un très petit nombre de formules».

Pas de pensée, pas de langage, ou creux, vide de sens. Rien ne survit vraiment sinon des œuvres. Il y a un besoin urgent d'artistes (vivant pour leur art avant d'en vivre) et de philosophes écrivains pour "réenchanter" un monde prosaïque ("Terre à terre", "Qui manque d'élégance, de distinction, de noblesse ; sans poésie") et redonner à l'existence de l'élévation, de la dignité. Se dépasser par la pensée plutôt que passer par la dépense.