03/10/2024
Plus jamais ça !
« La première question, je vais simplement y répondre en vous disant l’émotion de toute la Nation et [pause] je crois de tous les Franç… toutes les Françaises et de tous les Français devant [pause] ce crime odieux et atroce, et la douleur de toute une famille, qu’il faut respecter, accompagner, et évidemment la justice fera son travail, évidemment les services de l’État feront le leur mais [pause] je serai avant tout et simplement dans l’expression de cette solidarité et de cette affection de la Nation. Pour le reste, le gouvernement fait son travail, chaque ministre dans ses compétences, et [pause] il faut chaque jour mieux protéger les Français, mais le faire [pause], le faire, le faire [pause] et moins dire [pause], voilà. »
C’est cinq jours après la découverte du corps de Philippine à moitié enterré dans le bois de Boulogne, qu’Emmanuel Macron en déplacement au Canada se décide à prendre la parole en répondant à une question d’un journaliste en conférence de presse. Cinq jours au cours desquels chacun a pu mesurer l’horreur du crime commis par un homme de 22 ans sortant de prison pour viol, en attente d’expulsion pour le Maroc, libéré de son centre de rétention administrative et récidivant dans la foulée jusqu’à l’assassinat ou au meurtre de cette femme au printemps de sa vie, de cette jeune fille lumineuse que tous les parents du monde auraient aimé avoir pour enfant. La cathédrale de Versailles allait l’accueillir pour son mariage avec Thibault, elle l’a accueillie pour un "À Dieu" poignant, dans la souffrance et l’Espérance.
Alors, les mots du Président de la République sont bien pauvres pour dire cette vie fauchée, cette famille brisée, cette mort révoltante. On aurait aimé qu’il s’écrie : "Nous pleurons avec ceux qui pleurent, mais passé le temps des larmes, plus jamais ça !" ; mais à la place, des intonations et des hésitations sonnant faux et juste l’impression d’une émotion surjouée. C’est d’ailleurs le premier mot qui lui vient : « l’émotion », celle « de toute la Nation », enfin, il n’en est pas sûr : « je crois, ajoute-t-il, de tous les Français », avant de se reprendre : « de toutes les Françaises et de tous les Français ». Ouf ! il avait failli utiliser le masculin comme neutre ; il y a des choses qui sont graves tout de même. Heureusement, il l’affirme : « évidemment la justice fera son travail, évidemment les services de l’État feront le leur » et un peu loin, « le gouvernement fait son travail ».
« Évidemment » répété deux fois, « fera ou fait son travail, feront le leur » trois fois, comme une incantation pour déjouer le sort, ou pour s’en ou nous en persuader peut-être ? Car, est-il évident que la justice, les services de l’État et le gouvernement ont fait, font ou feront leur travail ? Enfin, pour conclure, il exprime le besoin ou la nécessité ou l’obligation de « chaque jour mieux (et non pas "bien") protéger les Français » (ce qui souligne une insuffisance et lui fait oublier au passage les "Françaises" et "toutes et tous"…, sans doute l’émotion), comme il avait parlé auparavant de « la douleur de toute une famille, qu’il faut respecter, accompagner ». « Il faut chaque jour mieux protéger les Français mais le faire », et ce « mais » (souvent absent des transcriptions et des citations ou remplacer par "et") avec « le faire », est suivi d’un silence. Hésitation sur un mot, entre deux mots… ?
Emmanuel Macron poursuit en répétant « le faire, le faire » pour terminer par « et moins dire », ce qui pourrait passer pour un aveu, une confession. La conjonction "mais" peut introduire une précision, une restriction, une correction voire une idée contraire ou une objection, mais là rien de tout cela, juste « le faire ». Simple hypothèse : et si Emmanuel Macron avait voulu dire par exemple "avec humanité" et qu’il s’était arrêté à temps. La phrase deviendrait alors : "Il faut chaque jour mieux protéger les Français mais le faire avec humanité" ou "avec compréhension" ou "avec responsabilité" voire "avec bienveillance". On pense à l’épouse du gendarme Éric Comyn : « La France a tué mon mari par son insuffisance, par son laxisme et son excès de tolérance ».
La Président de la République aurait pu dire "avec fermeté", "avec vigueur", ce qui aurait dénoté une détermination, une résolution, et une certaine autorité. Mais "avec fermeté", cela veut dire "sans transiger", on peut toujours rêver après des décennies de concessions, d’accommodements, d’arrangements, de compromis, de compromissions. Et puis, on oppose toujours la fermeté à l’humanité et l’exigence ou l’excellence à la bienveillance, alors qu’elles peuvent aller ensemble. "Humanité" ou "bienveillance" sont trop souvent l’autre nom de la paresse, de la faiblesse, de la démission, de la capitulation. La résignation et l’abandon ne sont plus acceptables, que ce soit à l’école, dans les familles, dans la société…, ou au sein de la justice, des services de l’État, du gouvernement…
"Faire le malheur de ceux qu’on aime" (ou qu’on dit aimer), voilà où nous en sommes dans maints endroits en France, avec des "responsables" parfois "hauts" qui ne sont jamais responsables que de "ce qui va". Ce qui ne va pas, ce sont les nôtres, en particulier nos femmes, nos enfants, dévisagés, toisés, bafoués, insultés, humiliés, poursuivis, brusqués, frappés, violentés, tués voire massacrés. Ce qui ne va pas, c’est que la priorité n’est pas de protéger. Ce qui ne va pas, c’est que considérer cela insupportable, inadmissible, vous rend suspect. Ce qui ne va pas, c’est que « toute la Nation », « toutes les Françaises » et « tous les Français » n’ont pas été émus du martyre de Philippine et n’ont pas respecté ou accompagné « la douleur de toute une famille ». Ce qui ne va pas, ce sont ceux, pardon celles et ceux qui veulent faire l’ange et qui font la bête, ce sont ces « (…) vertus chrétiennes devenues folles (…) » (Chesterton).
L’amour ou la charité certes, mais avec la justice, la prudence et la force. L’accueil inconditionnel, illimité, le respect de la différence, intégral, l’acceptation de l’autre tel qu’il est, sans réserve, conduisent à l’aveuglement et au fanatisme. Il faut retrouver la raison, loin d’idées et théories vagues ou d’une vague émotion.
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16/09/2024
L'emprise de l'entreprise sur l'homme
John Kenneth Galbraith n'était pas n'importe qui. Cité dans tous les dictionnaires d'économie parmi les plus grands économistes, cet ancien professeur à Harvard fut également conseiller de quatre présidents américains dont John F. Kennedy. Un an et demi avant sa mort à 97 ans, il publia fin 2004 un essai décapant chez Grasset intitulé Les mensonges de l'économie. D'où il ressort que la grande société anonyme est la force dominante aujourd'hui.
A l'origine, notait Galbraith, «(...) le marché s'identifiait à la souveraineté du consommateur». En fait, «Dans le monde réel, l'entreprise et l'industrie contribuent lourdement à fixer les prix et à créer la demande. Elles le font par le monopole, l'oligopole, la conception et la différenciation des produits, la publicité et les autres méthodes de promotion de ventes et de commerce». L'entreprise est le «lieu de l'autorité suprême».
Le lieu où, même si leur travail est «répétitif, épuisant, fastidieux, désagréable, sans intérêt intellectuel» et mal payé, les "bons travailleurs" sont censés "aimer travailler" selon leurs supérieurs, pour qui «le travail est un plaisir», une «source de prestige et de forte rémunération» donnant accès aux loisirs. Et qui aux premiers mauvais résultats, licencient ces "bons travailleurs" «qui sont le moins responsables des difficultés».
Le supérieur, peu enclin au sacrifice, s'affranchit du travail rébarbatif en se réservant une «situation» «agréable et valorisante». Il sait que «diriger avec succès une grande firme anonyme, dépasse de loin les forces, le savoir, l'expérience et la confiance en soi d'un seul individu». Il «délègue» donc «réflexion et action à des échelons inférieurs», ce qui est «un moyen d'échapper aux efforts fastidieux et aux connaissances pointues». Phénomène qui d'ailleurs a fait tache d'huile tant dans le secteur public que privé dès quelques dizaines de salariés.
«Le pouvoir (...), disait encore Galbraith, récompense le savoir, l'ambition personnelle, l'acceptation de l'esprit hiérarchique. Et la parfaite conscience de son propre intérêt.» Mais l'intérêt public ? Les entreprises l'ont «redéfini» répondait-il, «en l'adaptant à leurs capacités et à leurs besoins». Et «Les effets sociaux négatifs - la pollution, la destruction des paysages, le sacrifice de la santé des citoyens (...) - ne comptent pas».
D'où ce rappel : «Ce que l'histoire de l'humanité nous a laissé de meilleur, ce sont des réalisations artistiques, littéraires, religieuses et scientifiques qui sont nées dans des sociétés où elles étaient la mesure du succès», et «qui avaient un très faible PIB». La création de richesses n'est rien comparée aux richesses de la création humaine et à la richesse intérieure des hommes qui sont tellement plus que des "ressources".
11:24 Publié dans Economie/travail | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : john kenneth galbraith, économiste, harvard, john kennedy, éditions grasset, les mensonges de l'économie, la grande société anonyme, le marché, souveraineté du consommateur, fixer les prix, créer la demande, monopole, oligopole, conception et différenciation des produits, publicité, promotion des ventes, commerce, travail, "bons travailleurs", supérieurs, plaisir, prestige, forte rémunération, loisirs, mauvais résultats, licenciements, responsables des difficultés, sacrifice, travail rébarbatif, firme, déléguer réflexion et action, échapper aux efforts fastidieux, échapper aux connaissances pointues, le pouvoir, le savoir, ambition, esprit hiérarchique, intérêt, intérêt public, effets sociaux négatifs, pollution, destruction des paysages, santé des citoyens, sociétés, mesure du succès, produit intérieur brut, création de richesses, richesses de la création humaine, richesse intérieure, "ressources" | Facebook |
28/07/2024
L'immigration pour dépasser la nation ?
Au fond, ce qui coince vraiment vis-à-vis de "l’extrême droite", c’est son positionnement national et son programme de régulation drastique de l’immigration. Le constat est pourtant simple : il n’y a pas de politique migratoire et d’intégration digne de ce nom en France. Une étude datée de mars 2023 de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) et intitulée Immigration : comment font les États européens l’affirme, et c’est « un Think Tank libéral, progressiste et européen » qui le dit. « (…) Accueillir des migrants en grand nombre finira inévitablement par déboucher sur une crise si les États européens n’assument pas pleinement leur rôle souverain qui est de défendre leurs intérêts, leur territoire et leur population. »
Voilà ce qu’on peut lire dans le résumé, qui enfonce le clou : « (…) il est clair que la France n’a pas de vision stratégique en la matière. Nous ne sommes pas en mesure de dire quels intérêts nous avons à l’immigration, quelles sont nos préférences, quels sont nos objectifs. Il est impossible de mesurer l’efficacité des décisions. Ainsi, par certains aspects, notamment notre offre de santé, la France est le pays le plus attractif. Cette générosité ne se justifie pas du point de vue de l’État, ni du point de vue de nos obligations en matière d’asile, ni du point de vue de nos besoins de main-d’œuvre puisqu’il n’y a aucune sélection a priori des entrants. Nous avons besoin d’une politique d’immigration conçue depuis notre intérêt d’État et dans le cadre européen ».
Et ce n’est pas fini. « Le gouvernement de l’immigration est impossible sans le consentement des populations accueillantes. Les États ne peuvent pas ignorer non plus les différences culturelles, souvent profondes, parfois radicales, qui séparent les migrants de la population du pays d’accueil. Ils courent sinon le risque de l’effondrement dans la division, le séparatisme, voire le retour de la guerre civile. Accueillir des migrants en grand nombre peut être compréhensible, compte tenu notamment du vieillissement démographique et des besoins de main-d’œuvre, mais cette nécessité n’empêchera pas l’échec de l’accueil et peut-être la ruine de l’État si l’immigration ne fait pas l’objet d’une politique dédiée, inspirée par la grande doctrine de la raison d’État et conduite selon ses principes. »
Pour moins que ça, d’aucuns ont été qualifiés de xénophobes voire de racistes. Et pourtant, rappeler qu’une véritable politique d’immigration est nécessaire pour favoriser l’intégration relève du simple bon sens. L’étude de la Fondapol souligne encore « la générosité de notre accueil » en France, « notre incapacité à réguler les flux, à sélectionner comme à expulser », et avance que « la France peut aujourd’hui être considérée en matière d’asile et d’immigration comme l’État le plus permissif de l’Union européenne ». Rien que ça. Mais se demander s’il ne faudrait pas mieux maîtriser les flux migratoires ou si nous avons encore les moyens de notre extrême générosité, doit certainement être xénophobe ou raciste. Digne d’un point de vue d’extrême droite ou de droite extrême.
Accueillir beaucoup ou mieux accueillir ?
La gauche elle, ne peut être extrême, elle est juste radicale, et encore, dans le bon sens du terme, radicale dans son humanisme. Au fond, elle a bon fond, et ses éventuels défauts ne pourraient être que des qualités en excès : trop bonne, trop généreuse, trop gentille, trop compréhensive, trop conciliante… Mais sa morale, égalitaire, altruiste et compatissante, peut-elle être interrogée ? Est-elle si pure que cela ? Repose-t-elle sur des valeurs désintéressées ? Sachant que « L’attractivité de notre pays attire à nous des personnes qui ne parviendront pas à s’intégrer. Elle pousse des migrants à courir des risques considérables. Elle encourage les trafics organisés par la mafia des passeurs », sans oublier le risque d’« une hémorragie de compétences et de talents » « dans les pays d’émigration ». Et puis, le devoir de charité universelle et le devoir d’hospitalité sont-ils sans limites ? L’injonction est-elle d’"Accueillir !" point final, même mal ?
Le pape François lui-même en 2017, dans un entretien à un journal de rue italien Scarp de' tenis, « rappelle que l’on doit accueillir tous ceux que nous pouvons accueillir, c’est-à-dire que l’on "peut intégrer". Par cela, le pape entend : donner un travail, un toit, enseigner la langue du pays d’accueil, et respecter ses lois et sa culture (…) ». C’est on ne peut plus clair. De même à Marseille en 2023, dans son discours à la session conclusive des Rencontres Méditerranéennes, le pape François appelle à « assurer, selon les possibilités de chacun, un grand nombre d’entrées légales et régulières, durables grâce à un accueil équitable de la part du continent européen, dans le cadre d’une collaboration avec les pays d’origine ». Chaque mot est pesé.
Mais le plus important, c’est ce que le pape François écrit dans Fratelli tutti, ‟Tous frèresˮ, son encyclique publiée le 4 octobre 2020 : « il faut aussi "réaffirmer le droit de ne pas émigrer, c’est-à-dire d’être en condition de demeurer sur sa propre terre" », avant d’ajouter plus loin que « l’Europe (…) "a les instruments pour défendre la centralité de la personne humaine et pour trouver le juste équilibre entre le double devoir moral de protéger les droits de ses propres citoyens, et celui de garantir l’assistance et l’accueil des migrants" ». Inutile donc d’éluder les difficultés d’accueil. « Les migrants doivent être accueillis, protégés ou accompagnés, promus et intégrés », disait le pape à Marseille, telles sont les conditions d’une immigration digne, et ses limites.
Haro sur les "fachos"
Avec le nombre et la perte de contrôle et des désordres partout, s’il n’est plus possible de bien accueillir, accompagner, promouvoir et intégrer, les risques pour une société ouverte, généreuse, protectrice, tolérante, équilibrée… sont de perdre en cohésion, en confiance, en volonté, en compréhension, en concorde... Mais le cœur sur la main avec l’argent des autres, sûre de son magistère moral, la gauche se contente de désigner à la vindicte publique les conservateurs, les réactionnaires ou les "fachos" qui sont attachés à des structures, des institutions, des comportements, des normes sociales, des principes, des valeurs, des croyances…, paraît-il d’un autre temps.
Ainsi, en vrac et au choix : la patrie, le patrimoine, l’histoire de France, la culture classique ou générale, les beaux-arts, les traditions, le christianisme, la famille (nucléaire), les bons principes, les bonnes manières, la fidélité, la gratitude, le devoir, l’honneur, le courage, l’exemplarité, les mœurs françaises, le mode de vie et l’art de vivre à la française, la transmission, la droiture, le mérite, la liberté, la responsabilité (individuelle), le respect, l’effort, le travail, la discipline, la rigueur, l’excellence, l’autorité (de compétence), l’ordre, la sécurité…
Mais en s’en prenant à ces "biens" de nature culturelle ou morale, la gauche ne s’est pas aperçue, toute à son ivresse progressiste et déconstructrice, que c’est au "vivre ensemble" qu’elle s’en prenait, à cette joie française d’une vie en société harmonieuse - « La France ne se réalise pleinement que dans l’harmonieux équilibre » écrivait André Gide -, cette France d’avant qui avait ses rigidités, mais qui maintenant croule sous les permissivités et se trouve soumise aux pires extrémités et bientôt peut-être réduite à la dernière extrémité. La droite nationale, la droite patriote ou la droite conservatrice n’est peut-être que le retour de balancier d’une idéologie extrême cosmopolite et caritative de près d’un demi-siècle.
Sorte d’internationale de la charité désordonnée (faite de jactance et de « pognon de dingue » déversé, sans effets sur les causes), du charity-business, ou sorte d’« industrie de la bonne conscience » contrôlée par « cette gauche moderne, ou libérale-libertaire » avec son idéalisme, son utopisme, son angélisme… et son laxisme. Mais il faut noter que les internationalismes marxiste ou socialiste, humaniste et altermondialiste, s’ils se rejoignent, sont aussi rejoints par l’internationalisme capitaliste et libérale. Le libre-échangisme rejoint le sans-frontiérisme, le "No limit"… D’où des préférences, des rapprochements ou des ententes inexplicables et pour le moins bizarres (comme c’est étrange !), à moins de considérer le dépassement de la nation et de ce qui la constitue (langue, histoire, culture, religion…), comme un projet commun à terme de la gauche et de la droite libérale.
La question en tout cas se pose : comment vivre ensemble quand on n’a plus grand-chose ou plus rien en commun ? Comment vivre ensemble si nous ne partageons pas : des valeurs, des idées communes, des projets, des intérêts communs, des manières de vivre, des souvenirs, des émotions…, le pouvoir et les richesses ? Et la République est-elle possible si ses lois ne sont pas respectées par tout le monde ? Où en est ce "melting-pot" ou ce "creuset culturel", cette société mélangée qui mariait les différences et qui résultait de l’universalisme républicain par l’intégration et l’assimilation des immigrés à une culture commune ?
En quoi le multiculturalisme, le communautarisme sont-ils meilleurs ? La devise de l’Union européenne « Unie dans la diversité » est-elle réaliste si l’on ne mène pas une action déterminée pour conjuguer les différences et donner à tous le sentiment de participer à une communauté ? Qu’est-ce qui unifie, qui réunit, qui rassemble, qui intègre ? Qu’est-ce qui sépare, qui divise, qui isole, qui ségrègue ? Vise-t-on à l’unité ou à l’uniformité ? La démocratie et les droits de l’homme pourraient-ils suffire pour unir ? Suffirait-il pour cela d’aplanir les particularismes culturels et religieux et de parvenir aux mêmes droits pour tous, à la répartition équitable de toutes les richesses et au respect de toutes les différences ? On peut en douter.
L’union par le patriotisme et la religion ?
Mais c’est pourtant, avant le retour de la nation et la propagation d’une religion sous sa forme radicale et rétrograde, le chemin qui avait été choisi. La modernité conjuguée à une raison suffisante (présomptueuse) et à la volonté de s’affranchir de la nature humaine et de l’irrationnel, allaient avoir raison des identités culturelles et des croyances. Et certains continuent sur cette lancée alors qu’une Thérèse Delpech par exemple, avait dès 2005 évoqué « le besoin de faire à nouveau une place à l’irrationnel, composante essentielle du psychisme humain ».
Cette spécialiste des relations internationales et des affaires stratégiques développait ainsi dans l’épilogue de son essai chez Grasset au titre prémonitoire : L’ensauvagement - Le retour de la barbarie au XXIe siècle, une pensée des plus originales. Ainsi poursuivait-elle : « Au moment où la religion fait un retour fracassant sous des formes violentes et destructrices, ce serait un immense progrès de s’interroger sur le vide spirituel qui mine nos sociétés, et sur les déséquilibres psychiques qui accompagnent ce phénomène. Si l’on ne parvient pas à trouver une harmonie nouvelle entre le rationnel et l’irrationnel, les excès de l’un comme de l’autre (…) peuvent à nouveau produire des catastrophes collectives. »
Déjà « disqualifiée » pour avoir donné naissance aux idéologies des siècles précédents, dont certaines monstrueuses, la raison humaine pour Thérèse Delpech était au plus mal : « il lui faudrait retrouver le fil d’une pensée perdue ». « (…) La politique semble n’avoir d’autre but qu’elle-même - c’est-à-dire l’exercice du pouvoir - ou le développement de l’économie » constatait-elle, avant de citer l’économiste et philosophe Adam Smith : « Tels sont les inconvénients de l’esprit commercial. Les intelligences se rétrécissent, l’élévation d'esprit devient impossible. L’instruction est méprisée ou du moins négligée et il s’en faut de peu que l’esprit d’héroïsme ne s'éloigne tout à fait (…) ».
« Les périls qui guettent les nations où priment les intérêts économiques » semblent sans remède, tant « la faiblesse de l’intelligence et de la volonté » a atteint les fonctions régaliennes de l’État, qui en a même déléguées, et tant l’on a fait de l’attachement à la nation ou à une religion, le problème et même l’ennemi. Pourtant, le penseur politique et sociologue du XIXe siècle Alexis de Tocqueville, disait : « Il n’y a au monde que le patriotisme ou la religion qui peuvent faire marcher pendant longtemps vers un même but l’universalité des citoyens ». Mais certains en France ont préféré mettre à mal et l’un et l’autre, alors qu’ils offrent cette « profondeur de temps » indispensable pour l’écrivain et philosophe Régis Debray.
Celui-ci déclarait au Monde : « Nous ne faisons partie d’une nation (...) qu’en mémoire et en espérance. L’union des grains de poussière n’existe que par et dans une verticale. Supprimez la profondeur de temps, et les séparatismes vous sauteront à la gorge ». Nous y sommes. Le renoncement à des principes unificateurs supérieurs, voire leur rejet, nous mène tout droit à la faiblesse morale et à l’implosion sociale. Jean-Claude Barreau, qui fut notamment directeur de la coopération française en Algérie et président de l’Office des migrations internationales, réclamait que le monde moderne « retrouve, en réinterprétant ce qu’il y a de valable dans les religions et le patriotisme, des raisons de vivre, c’est-à-dire de conquérir non plus seulement l’Espace mais aussi de s’assurer du Temps ».
Une France à aimer
«Dostoïevsky soulignait que "toute société, pour se maintenir et vivre, a besoin absolument de respecter quelqu'un et quelque chose, et surtout que ce soit le fait de tout le monde, et non pas de chacun selon sa fantaisie".» Cette citation tirée du livre Nouveau monde Vieille France aux éditions Perrin, permet à son auteur Nicolas Baverez de dénoncer comme suicidaire le désintérêt de beaucoup pour le «destin collectif de la nation».
Une nation est un "groupe humain, généralement assez vaste, qui se caractérise par la conscience de son unité (historique, sociale, culturelle) et la volonté de vivre en commun". On peut lui préférer le nom de patrie, étymologiquement le pays du père, qu'on évoque en employant l'expression "La mère patrie" qui lui donne une dimension encore plus affective. «Je suis de mon enfance comme d'un pays» écrivait Saint-Exupéry.
Le patriote "qui aime sa patrie et la sert avec dévouement", ne se réveille pas seulement en chacun de nous lors par exemple d'une finale de Coupe du monde de football. Il peut être là aussi à des moments où on l'attend le moins. Ainsi raconte Erik Orsenna au magazine Valeurs actuelles, «nous avons demandé à un échantillon représentatif de Français : "A quel moment, (...) vous êtes-vous sentis pour la dernière fois français ?"
«60 % ont répondu : "Lors de l'éclipse de soleil". Nous leur avons demandé pourquoi. Réponse : "Parce que nous étions dehors, ensemble, à regarder dans la même direction".» Toute l'idée de nation ou de patrie est dans ce "Regarder ensemble dans la même direction" cher à Saint-Exupéry, qui disait que c'était cela aimer. Et c'est peut-être cela le "mal français" : un manque d'amour et même comme une honte. Pourtant…
Ses paysages, ses monuments, sa langue, sa culture, ses traditions... font de notre pays, le pays où il fait bon vivre, et celui le plus visité au monde. Son histoire et ses valeurs témoignent aussi d'«un idéal de résistance», comme le note François Bayrou dans Projet d’espoir chez Plon, qui n'empêche pas la France d'être à la pointe aujourd’hui dans bien des domaines. Autant de motifs de fierté n'interdisant en rien la lucidité.
La philosophe Simone Weil* écrivait : «Un amour parfaitement pur de la patrie a une affinité avec les sentiments qu'inspirent à un homme des jeunes enfants, ses vieux parents, une femme aimée... Un tel amour peut avoir les yeux ouverts sur les injustices, les crimes, les hontes contenus dans le passé, le présent et les appétits du pays, sans dissimulation ni réticence, et sans être diminué, il en est seulement rendu plus douloureux».
* citée par Max Gallo dans Fier d’être français aux éditions Fayard
Redevenir libres, égaux et fraternels
«Liberté, Égalité, Fraternité», où ça ? «La liberté n'est qu'illusion dans un pays qui n'a plus ni Constitution, faute de séparation et de contrôle des pouvoirs, ni Etat de droit, compte tenu du naufrage de l'institution judiciaire. L'égalité est une chimère, quand les privilèges de castes et de statuts vont de pair avec la montée des discriminations et la ségrégation selon l'origine géographique et sociale, l'héritage culturel, la race et la religion.
«La fraternité est réduite à néant, alors que chemine une guerre civile de moins en moins froide entre les générations, les communautés, les races et les ethnies, alors que s'exacerbent les pulsions xénophobes.» Qui avait décidé ainsi de dire la vérité ? Nicolas Baverez, avocat, économiste et historien, auteur de Que faire ? Agenda 2007 aux éditions Perrin. «La vérité, disait Michel Audiart(1), n'est jamais amusante. Sans cela, tout le monde la dirait.»
La devise de la République française est en lambeaux. Et ceux qui ne veulent pas le voir ou ne s'en émeuvent pas, cherchent à "tuer" le porteur de la mauvaise nouvelle, comme s'il en était responsable. Réfutons les préceptes à la Henri Queuille(2) pour qui «il n'est pas de problème que le temps et l'absence de solution ne contribuent à résoudre» ou qu'«en politique, il faut moins résoudre les problèmes que faire taire ceux qui les posent».
La somme des intérêts particuliers ne fait pas l'intérêt général, désolé pour l'économiste Adam Smith. Du fait déjà d'un déséquilibre manifeste entre les citoyens : certains ont plus de poids, sont organisés en groupes de pression... La foire d'empoigne qui s'ensuit a toutefois des limites. L'Etat ne peut plus être «cette grande fiction, dont parlait Frédéric Bastiat, à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde».
«Solon, l'archonte [titre des magistrats gouvernant les républiques grecques] qui fonda la démocratie athénienne, soulignait que "la société est bien gouvernée quand les citoyens obéissent aux magistrats et les magistrats aux lois". A l'aune de cette maxime exigeante, nul ne peut manquer de conclure que la France n'est plus gouvernée» écrivait encore Nicolas Baverez, particulièrement sévère dans Nouveau monde, Vieille France chez Perrin.
«La tyrannie d’un Prince ne met pas un Etat plus près de la ruine que l'indifférence pour le bien commun n'y met une République» remarquait Montesquieu, qui disait aussi que «le droit à la différence amène toujours la différence des droits(3)». Respectueux des lois, égaux en droit, attentifs à l'intérêt de tous, telle devrait être la devise des gouvernants comme des gouvernés, unis au service d'une seule communauté : la nation.
(1)La Tragédie du Président ; scènes de la vie politique 1986-2006 - Franz-Olivier Giesbert - Flammarion (2)Accusé Chirac levez-vous ! - Denis Jeambar - Seuil (3)Lettre ouverte aux démagogues - Rachid Kaci - Editions des Syrtes
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