21/12/2023
L'amour : sauveur de l'humanité
C'est l'histoire d'un couple qui ne sait où "crécher". La jeune femme va bientôt enfanter. Son mari est un solide charpentier. Loin de chez eux, ils n'ont personne vers qui se tourner. Toutes les portes restant closes, ils trouvent une étable pour la nuit. La maman accouche de son fils premier-né et le couche dans une mangeoire. La chaleur des animaux le protégeant de la fraîcheur nocturne.
Les premiers à les trouver sont des bergers qui gardent des troupeaux dehors à proximité. Eux, miséreux entre les miséreux, félicitent chaleureusement les heureux parents, et se penchent vers le bébé qui dort, l'enveloppant de leurs regards attendris et bienveillants. Ils n'ont rien à offrir sinon leur présence réconfortante et leurs vœux pour l'être qui vient de naître.
Les parents attendent encore quelques jours, le temps pour la maman de reprendre des forces. Les seconds à les visiter sont des rois mages venus de très loin, hommes grands par leur pouvoir, leur avoir et leur savoir. Eux, puissants entre les puissants, déposent au pied du nouveau-né ce qu'ils ont de plus précieux, et rendent hommage au tout-petit et à son "enceinte sacrée" : la famille.
Cette histoire a deux mille ans. Elle s'adresse à tous les hommes, des plus pauvres aux plus riches, mais en premier à ceux qui n'ont pas de terre, pas de toit, pas de titre, pas de quoi se nourrir, se soigner, se vêtir, se laver, se chauffer. Elle dit leur droit à la dignité, à la considération, à la bonté quand ils tendent les mains vers le ciel ; le droit des faibles, des malades et des opprimés d'être défendus.
Elle rappelle aux maîtres de la terre leur devoir, qu'ils sont grands quand ils servent les petits, qu'ils s'élèvent quand ils s'inclinent, qu'ils sont jugés non à leurs possessions mais à leurs dons. Elle leur demande de mettre influence, argent et science au service de l'humanité et de la vie. Elle réclame d'eux qu'ils ne profitent ni de la confiance, ni de l'insuffisance, ni de la détresse de leur prochain.
Elle parle d'un enfant plein de promesses, symbole de l'être humain innocent et sans défense, qu'il faut encourager, préserver, protéger, secourir. Cet être humain innocent et sans défense, vivra-t-il ? Ou mourra-t-il, trahi par certains des siens et supplicié par ceux qui ne pensent qu'à étendre leur empire, leur emprise ? Il n'y a que l'amour qui sauve. Mais «qu'est-ce qui pourrait sauver l'amour ?»*.
* Balavoine
14:06 Publié dans Noël | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, 2000 ans, pauvres, riches, droit, dignité, considération, bonté, faibles, malades, opprimés, maîtres de la terre, devoir, possessions, dons, influence, argent, science, humanité, vie, confiance, insuffisance, détresse, prochain, enfant plein de promesses, être humain innocent et sans défense, encourager, préserver, protéger, secourir, empire, emprise, il n'y a que l'amour qui sauve, balavoine | Facebook |
19/10/2023
L'homme contre l'homme
«Tant d'horreurs n'auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute, beaucoup de sciences pour tuer tant d'hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps, mais il a fallu non moins de qualités morales. Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects ?» La grande interrogation de Paul Valéry en 1919 dans La Crise de l'esprit chez Gallimard, continue de nous tarauder aujourd'hui.
Le philosophe Alain Finkielkraut dans son essai sur le XXe siècle L'Humanité perdue, paru au Seuil, rappelle ce «diagnostic désespéré» de Valéry. La guerre 14-18 interdisait désormais de voir obligatoirement en «l'essor prodigieux des aptitudes et des connaissances humaines» un «progrès de l'humanité». Et depuis, la situation n'a cessé d'empirer, la capacité de l'homme ayant décuplé et confinant maintenant à la toute-puissance.
«(...) c'est la vertu qui s'est mise au service de l'horreur, écrit encore Alain Finkielkraut ; (...) c'est la barbarie qui a mobilisé les ressources de la Raison et les inventions de la science.» Et dorénavant une épée de Damoclès semble suspendue au-dessus de l'humanité. Janus des temps modernes, le Savoir par son étendue présente de nos jours deux visages dont l'un obscur paraît pouvoir même conduire l'humanité à sa perte.
Car il n'y a pas que les armes qui soient devenues "de destruction massive", certaines "avancées" apportent avec des avantages, leur lot de menaces. Les hommes pourraient être victimes d'eux-mêmes, de leur rêve prométhéen de percer les secrets des dieux, de devenir comme des dieux, tout en étant convaincus de faire leur Devoir, de bien faire. Faire ainsi tout le mal possible avec les meilleures intentions du monde.
Mais nos intentions sont-elles toutes délibérées, ou suivons-nous plutôt, en étant "à la pointe du progrès", en nous disant "d'avant-garde", une logique indépendante de notre volonté ? «Si, par opposition au "pouvoir faire", écrit Hannah Arendt dans Du mensonge à la violence, le terme "pouvoir" signifie qu'il nous est possible de faire ce que nous voulons, il nous faut bien reconnaître que notre "pouvoir" est tombé dans l'impuissance.»
«Les progrès accomplis par la science, poursuit-elle, sont tout autre chose que l'expression du "je veux" personnel ; ils suivent leurs propres et inexorables lois, nous contraignant à faire ce qu'il nous est possible de faire, sans tenir compte des conséquences.» Nuisibles pour l'homme. Valéry affirmait : «On peut dire que tout ce que nous savons, c'est-à-dire tout ce que nous pouvons, a fini par s'opposer à ce que nous sommes».
16:04 Publié dans Progrès | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : horreurs, vertus, sciences, qualités morales, savoir, devoir, paul valéry, la crise de l'esprit, éditions gallimard, alain finkielkraut, l'humanité perdue, éditions du seuil, guerre 14-18, essor prodigieux, aptitudes, connaissances, progrès, capacité, toute-puissance, barbarie, raison, "avancées", avantages, menaces, victimes, rêve prométhéen, secrets des dieux, devenir comme des dieux, avec les meilleures intentions du monde, logique indépendante de notre volonté, hannah arendt, du mensonge à la violence, pouvoir faire, faire ce que nous voulons, impuissance, inexorables lois, ce qu'il nous est possible de faire, conséquences, s'opposer à ce que nous sommes | Facebook |
09/09/2023
Gares de triage et voies de garage
Il y a trente ans déjà, tout était écrit. "L'égalité des chances", cette vieille rengaine reprise en chœur à chaque rentrée et bien vite remisée en attendant d'être ressortie l'année suivante, ne trompait plus que les naïfs ou les nigauds. L'Homme nouveau qui consacrait son numéro du mois d'août 2005 à l'enfance, dressait un constat d'échec : «Les inégalités scolaires se renforcent, et le marché du soutien scolaire prospère. Depuis 10 ans, l'expansion est spectaculaire».
Ainsi, cotée en Bourse, Acadomia, première entreprise de soutien scolaire en France, avait vu la valeur de son action multipliée par cinq en un peu plus de quatre ans. «Quant aux orthophonistes, 90 % de leur temps est maintenant consacré aux enfants qui ne savent ni lire ni écrire. La faillite de l'État fait le bonheur du marché.» Mais est-ce une faillite ou est-ce une volonté ? La question se doit d'être posée quand on découvre certains propos.
Ainsi ceux d'un ancien Inspecteur général de l'Éducation nationale, intervenant à l'Institut national de la recherche pédagogique et président de l'Association française pour la lecture : "Considérant que la société n'a jamais eu besoin de plus de 20 à 30 % de lecteurs efficaces, on ne transmet pas de techniques préalables, mais on aide au développement de celles que l'enfant invente pour régler dans l'écrit les problèmes qui le concernent".
Voilà qui a le mérite de la franchise : l'école répond aux besoins de la société et celle-ci n'a pas besoin de trop de lettrés. Ainsi l'écrit devenu I'«apanage d'un petit nombre de personnes, (...) va donner à ceux qui le possèdent un pouvoir excessif sur les autres. L'instrument de la liberté est redevenu le signe d'un privilège». Et une société de castes est en train de renaître sous nos yeux sans que cela ne provoque beaucoup de remous.
Ce qui nous conduit à une seconde interrogation. Pour asseoir leur pouvoir, les classes supérieures n'ont-elles pas intérêt à cet illettrisme et à la crétinisation des masses ? En tout cas, plutôt que de «tirer les plus faibles vers le haut», on les trie et on les aiguille en leur faisant croire qu'ils choisissent leur voie (ah ! le merveilleux terme d'orientation), pour qu'ensuite ils occupent les postes à pourvoir "bons pour eux" et qu'ils soient "heureux comme ça".
En 1996, l'OCDE* limitait le rôle des pouvoirs publics à "assurer l'accès à l'apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l'exclusion de la société en général s'accentuera à mesure que d'autres vont continuer de progresser". «En clair, les réformes en cours calibrent les élèves en fonction de la demande des entreprises et des emplois». On est loin de l'idée de «former des citoyens capables de se gouverner». Et aujourd'hui, même les classes supérieures sont pour partie emportées dans ce grand mouvement de nivellement ou d'égalisation par le bas.
* Organisation de coopération et de développement économique
13:00 Publié dans Education/Culture | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : égalité des chances, l'homme nouveau, inégalités scolaires, marché du soutien scolaire, acadomia, orthophonistes, faillite de l'état ou volonté ?, besoins de la société, pas besoin de trop de lettrés, l'écrit, pouvoir excessif, société de castes, illettrisme, crétinisation, orientation, postes à pourvoir, heureux comme ça, ocde, pouvoirs publics, apprentissage, exclusion, réformes, élèves, demande des entreprises, former des citoyens capables de se gouverner | Facebook |