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16/12/2024

Noël, nouvel an et l'esprit sain

"Joyeux Noël et bonne année" disons-nous un peu mécaniquement ces jours-ci. Revoilà ces fêtes de fin d'année avec leur cortège de gueuletons et d'enthousiasmes légèrement factices. Une fête en larmes*, c'est le beau titre d'un livre de Jean d'Ormesson qui voyait ainsi la vie. Mais pour beaucoup de nos contemporains, il y a plus de larmes que de fête et, dans nos sociétés, de plus en plus de fêtes pour mieux cacher les larmes.

«Je n'ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur» disait Winston Churchill le 13 mai 1940 devant la Chambre des communes. La guerre économique qui fait rage, n'offre rien de bien différent, surtout pour les hommes de troupe, la piétaille qu'on piétine. Et Flaubert a sans doute raison quand il écrit qu'«Etre bête, égoïste, et avoir une bonne santé, voilà les trois conditions voulues pour être heureux».

Bêtes et disciplinés, nous allons au top départ faire la fête, nous en mettre plein la lampe, nous souhaiter une bonne santé et nous soucier de la terre entière comme d'une guigne. Avec les "andouilles" et les "truffes", les "dindes" de Noël "glouglouteront" et les "oies" gavées "criailleront" alors que des millions esseulés, délaissés, des milliards ne sont pas à la fête dans le monde et n'ont dans leur "vallée de larmes", leur vie terrestre, même pas l'espoir d'une autre vie.

«Tant que tu seras heureux, tu compteras beaucoup d'amis. Si le ciel se couvre de nuages, tu seras seul» (Donec eris felix, multos numerabis amicos. Tempora si fuerint nubila, solus eris). Ovide, exilé et abandonné, dit sa détresse dans ces vers tirés de son recueil Tristes, et décrit par là même celle de ceux qui dans leur propre pays sont comme exilés et abandonnés à leur triste sort. «Malheur à l'homme seul !» (Vae soli ! - l'Ecclésiaste).

Comment avoir goût à la fête ? Ovide disait aussi dans un aphorisme de L'Art d'aimer : «On ne désire pas ce qu'on ne connaît pas» (Ignoti nulla cupido), à savoir traduit Le Petit Larousse : "L'indifférence naît de causes diverses, le plus souvent de l'ignorance". Et Victor Hugo dans L'Homme qui rit interpellait la Chambre des lords et tous les contents d'eux : «Si vous saviez ce qui se passe, aucun de vous n'oserait être heureux».

Mais combien préfèrent ne pas savoir "ce qui se passe", ou le savent et feignent de l'ignorer, ou encore le sortent de leur esprit pour ne pas gâcher la fête ! Pourtant la santé de l'esprit passe par là, tout aussi souhaitable que la santé du corps. «Une âme saine dans un corps sain» (Mens sana in corpore sano), voilà tout ce que l'homme vraiment sage demande au ciel, selon une maxime de Juvénal dans Satires. "Bonne santé."

* Éditions Robert Laffont

08/11/2024

Trump l’incorrect préféré à Harris "politiquement correcte"

Le mot "fascisme" est lié à celui de "totalitarisme", soit, nous dit Le Petit Robert : un « régime à parti unique, n’admettant aucune opposition organisée, dans lequel le pouvoir politique dirige souverainement et tend à confisquer la totalité des activités de la société qu’il domine ». Il faut donc raison garder : l’hégémonie d’un parti ou d’un pouvoir politique n’est pas pour demain aux États-Unis où triomphent le libéralisme et l’individualisme. Et puis l’opposition semble parfaitement organisée contre Donald Trump. Mais cela n’a pas suffi. Une majorité d’Américains, pourtant très au fait des multiples abus et délits dont il s’est rendu coupable, l’ont préféré à Kamala Harris. Peut-être tout simplement l’ont-ils considérée comme plus dangereuse ?

Peut-on émettre l’hypothèse comme l’historien Jacques Bainville que « (…) l’anarchie engendre des Césars » ? « L’attachement populaire à l’"ordre" », souligné par Jacques Marseille dans son livre Du bon usage de la guerre civile en France aux éditions Perrin, est trop souvent négligé par les politologues. « (…) La chienlit, non » pourrait dire le peuple en paraphrasant le général de Gaulle. Et Kamala Harris et les Démocrates ont peut-être été jugés coupables de saper les fondements de la démocratie américaine, notamment avec leur "progressisme" abusif qui a pu conduire à semer la division, la désunion. « C’est la dose qui fait le poison. » Et c’est pareil pour la libéralisation économique, la précarité dans l’existence ou les flux migratoires.

Un "César" a donc été élu démocratiquement, comme il y a huit ans. Il a le visage rassurant de celui qui l’a déjà été. Il a le visage déterminé de celui qui va à contre-courant. Il a le visage inquiétant de celui qui semble capable de tout. Mais comme dans toute démocratie libérale, son pouvoir est limité. Les mêmes (institutions politiques et contre-pouvoirs) qui ont tout fait pour qu’il ne soit pas élu, le modéreront en évitant, il faut l’espérer, de tout faire pour qu’il échoue. Et peut-être les Démocrates s’interrogeront-ils sur ce que veut la majorité au lieu d’être obnubilés par les minorités ou pire, de tenter de rééduquer cette majorité (comme dans tout bon régime fasciste). Revenir au principe de la démocratie représentative qu’est la majorité, ne peut pas vraiment faire de tort, si tant est qu’on soit démocrate.

03/11/2024

Un homme qui n'est plus "habité"

Il est un livre signé David Riesman, qui avait eu un succès considérable à sa parution et dont le titre évocateur est La Foule solitaire, anatomie de la société moderne. Philippe Breton, alors sociologue, chercheur au CNRS et enseignant à la Sorbonne, y faisait référence dans son ouvrage La Parole manipulée paru aux éditions La Découverte en 1997. Il y relevait que le sociologue américain avait vu dès les années cinquante l'apparition d'un "homme d'une espèce nouvelle".

«(...) Il oppose l'individu traditionnel, "intra-déterminé", à l'homme moderne "extro-déterminé". Celui-ci ne dispose plus, pour reprendre les métaphores de Riesman, d'un "gyroscope intérieur", réglé par sa famille et son groupe social, et qui lui sert de guide de comportement défini a priori, mais plutôt d'un "radar" qui lui permet de traiter l'information reçue de l'extérieur et de s'y adapter d'une façon assez conformiste.

«L'individu extro-déterminé a un comportement presque entièrement influencé par l'extérieur, ce que pensent les autres, le jugement des "gens qui comptent". C'est un être entièrement social, réagissant aux réactions d'autrui, qui est loin de considérer comme une entrave à sa liberté toutes les incitations qu'il reçoit du monde environnant. Au contraire, il a tendance à considérer celles-ci avec soulagement (...).»

Car ainsi "au courant", l'individu peut s'orienter et agir en conséquence. "Un homme averti en vaut deux." "Branché", "Câblé", il reste en phase avec son temps. "A la page", il adopte "la marche à suivre" afin d'obtenir ce qu'il veut ; et toujours "regarde de quel côté souffle le vent" pour rester "dans le vent". De ce fait, Philippe Breton décrivait «l'homme moderne de la société de communication, comme un "être sans intérieur" (...)».

Ouvert aux quatre vents, il n'a plus d'ancrage. Il flotte au gré des flots, tourne à tous les vents ou prend le chemin signalé par des phares et balises, sa boussole interne déréglée. Hors service la coutume ("habitude collective d'agir, transmise de génération en génération") et la morale ("ensemble des règles de conduite considérées comme bonnes de façon absolue") qui avaient l'inconvénient de s'opposer au changement.

La coutume a été remplacée par l'attrait pour la nouveauté qui permet la consommation. Les usages se sont inclinés devant l'utilité et l'efficacité. Il n'y a plus de morale, il n'y a que des circonstances auxquelles il faut s'adapter et dont il faut profiter. Les "Tout ce qui peut être fait, doit être fait" ont succédé aux "Cela ne se fait pas". Et comme le caméléon se fond dans son milieu, l'individu se fond dans la foule. Tournant sur lui-même et accompagnant le mouvement.