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07/10/2014

Un homme bientôt hors jeu ?

Comment comprendre notre monde si nous ne voyons pas que, comme l'écrit Olivier Rey, «l'adaptation de l'homme à l'environnement créé par et pour le développement technique et économique est devenue un objectif consciencieusement poursuivi» ? Auteur de Une folle solitude - Le fantasme de l'homme auto-construit au Seuil, celui-ci met l'accent sur un travail engagé dans la seconde moitié du XXe siècle dans nos sociétés.

C'est Norbert Wiener, fondateur de la cybernétique, qui exprime le premier en 1954 le but inavoué de sa discipline «qui étudie les phénomènes de traitement de l'information et de régulation à l'intérieur des systèmes, qu'il s'agisse de machines ou d'êtres vivants». Il écrit : "Nous avons modifié si radicalement notre milieu que nous devons maintenant nous modifier nous-mêmes pour vivre au sein de ce nouvel environnement".

Mais cela ne se fait pas sans quelques résistances. Et notamment internes. Porteur «de gènes qui, pour l'essentiel, ont été sélectionnés dans des conditions de vie paléolithiques, très différentes de celles que nous connaissons à l'heure actuelle», le «vieil homme» en chacun de nous «s'obstine à souffrir de ses nouvelles conditions de vie, censées promouvoir le sujet qu'en vérité elles excluent dès que celui-ci contrarie le progrès».

L'exclusion est intrinsèque à l'évolution voulue de nos sociétés. La formation initiale et continue ou les «médicaments contre les troubles psychiques» pour prendre deux exemples, n'arrivent pas ou plus (ou pas encore ?) à rattraper le décrochage qui affecte de plus en plus d'hommes. Et «Tandis qu'on travaille à modifier l'homme pour l'adapter à son nouveau milieu, ce milieu continue à évoluer, nécessitant une nouvelle adaptation».

«Il fut un temps où, remarque Olivier Rey, le salut rapatrié de l'au-delà à l'ici-bas, la politique fut chargée de résoudre tous les problèmes humains. Ayant échoué à façonner le monde idéal, le salut est maintenant attendu d'une technique qui nous rende heureux du monde tel qu'il est, quel qu'il soit.» On attend ainsi de tout homme une "béat-attitude", un optimisme béat, en prévision de la béatitude à venir "c'est promis juré".

Mais un problème chasse l'autre, à un risque succède un autre risque, on n'en finit jamais. Ivan Illich dans Une société sans école disait : «L'homme contemporain (...) s'efforce de créer le monde entier à son image. Il construit, planifie son environnement, puis il découvre que pour y parvenir il lui faut se refaire constamment, afin de s'insérer dans sa propre création (...)». «L'enjeu de la partie» serait-il, comme il dit, «la disparition de l'homme» ?

30/09/2014

Croire sans preuves, est-ce bien raisonnable ?

Croire au père Noël, c'est-à-dire "être très naïf, se faire des illusions", semble très répandu chez les adultes. Il faut dire que les "pères Noël" ne manquent pas, toutes ces figures paternelles ou ces fictions sécurisantes. Ces "pères Noël" de substitution pour grands enfants prolongent ainsi la naïveté infantile, celle des petits enfants encouragée par parents et vendeurs de cadeaux qui leur font attendre le père Noël comme le messie.

Montaigne avait gravé sur une poutre de sa librairie cette sentence : «Le genre humain est par trop avide de fables». Aujourd'hui, alors que l'interrogation de Montaigne «Que sais-je ?» ne semble plus tourmentée quiconque, tant des fanatismes de toutes sortes se développent un peu partout, les fables font plus que jamais courir les foules ; des leurres, des lièvres poursuivis avec obstination. "L'obstination est la plus sûre preuve de bêtise".

«La seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien» aurait dit Socrate. Que savons-nous vraiment, avec certitude ? Et combien parlent sans savoir ! «L'appétit de savoir naît du doute» écrivait Gide. Combien ne doutent de rien ! Croire au père Noël, c'est ne pas douter et ne pas avoir envie de savoir, c'est croire tout savoir et "ne vouloir rien savoir", "refuser de tenir compte des objections, des observations…".

«Impossible de s'accrocher à rien ; tout a chaviré.» Nous pourrions reprendre mot pour mot cette phrase de Martin du Gard. Restent les illusions, à tout prendre, semble-t-il pour beaucoup, préférables à la réalité. Mais les illusions peuvent conduire au pire. Une "opinion fausse" ou une "croyance erronée" peut être dangereuse et malfaisante. Et est-ce mieux si elle «me console, me tranquillise, et m'aide à me résigner» (Rousseau) ?

Les contes pour enfants sont remplacés par d'autres contes une fois ceux-ci devenus grands. La "confiance", la "simplicité" "par ignorance, par inexpérience" sont remplacées par la "crédulité", la "confiance irraisonnée". Faciles à tromper, ils forment le «grand troupeau des hommes» que les joueurs de flûte ensorcellent avec leur petite musique qui leur promet monts et merveilles, et qu'ils suivent les yeux fermés, fascinés et confiants.

Mais rien n'est vrai. Et la musique envoûtante finit par sonner faux. Le charme est rompu, le réveil brutal. Quand ce n'est pas la mort qui met fin aux rêveries. Et peut-être est-ce mieux ainsi. Mais pour ceux qui ne veulent pas s'en laisser conter, seule la preuve doit compter. Ne rien accepter et affirmer sans preuves. Demander à ceux qui "demandent la confiance", de "produire des arguments, des raisons". Et mourir, mais "les yeux ouverts".

26/09/2014

Une vie contre nature

«Dubos craint que l'humanité ne soit capable de s'adapter aux tensions engendrées par la seconde révolution industrielle et la surpopulation, de la même manière qu'elle a survécu dans le passé à la famine, à la peste et à la guerre. Il parle avec crainte de cette possibilité de survie parce que l'adaptabilité, qui est un atout pour la survie, est aussi un lourd handicap. Les causes les plus courantes de maladie sont des exigences d'adaptation.»

Dans Némésis médicale - L'expropriation de la santé paru au Seuil en 1975, Ivan Illich écrivait ces lignes en faisant référence au biologiste René Dubos. Olivier Rey qui le cite dans son livre Une folle solitude - Le fantasme de l'homme auto-construit édité au Seuil également, s'interroge sur le «développement tous azimuts de la technique» et I'«artificialisation sans cesse plus poussée de la vie humaine» que la croissance réclame.

Ce mathématicien, professeur à l'École polytechnique à l'origine et maintenant philosophe, chercheur au CNRS et enseignant à l'université Panthéon-Sorbonne, redoute «que le mouvement finisse par provoquer, entre les individus et le monde que collectivement ils façonnent, une inadaptation génératrice d'un malaise croissant, de malheur, de convulsions diverses (...)». Il pense que nos capacités d'adaptation ne sont pas sans limites et avance des éléments appuyant sa thèse.

Ainsi dit-il, «Des médecins-anthropologues situent l'origine d'un certain nombre de pathologies physiques et psychiques modernes dans un décalage excessif entre les conditions d'existence contemporaines et celles qui permettraient un épanouissement des facultés réelles de l'individu». Et il note en passant que «s’il est de plus en plus nécessaire de "se former" au monde, (...) c'est le signe que ce monde est de plus en plus étranger».

Pourra-t-on longtemps encore passer froidement les victimes par pertes et profits et «laisser croire que la science pourra indéfiniment réparer nos erreurs» ? Non répond Claude Aubert, qui relève dans son livre Espérance de vie, la fin des illusions, «l'augmentation continuelle de l'incidence de nombreuses maladies chroniques, telles que le cancer, le diabète, l'asthme, les allergies ou la broncho-pneumopathie chronique obstructive».

Le constat de cet ingénieur agronome : «les seniors sont bien souvent en meilleure santé que la génération suivante». La cause selon lui : «un mode de vie devenu aberrant, entre malbouffe, sédentarité et pollution (...)». Et la «perspective effrayante» de certains scientifiques : «si nous continuons ainsi, notre génération sera la première de l'histoire de l'humanité dans laquelle les parents verront leurs enfants mourir avant eux».