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31/10/2014

La raison contre tout le monde

Une tribune libre d'un professeur certifié de philosophie, Michael Smadja, dans Le Monde en 2007 nous parlait plus de notre société que beaucoup d'études savantes. «Les érudits tricotent les chaussettes de l'esprit» disait Nietzsche ; manière délicate d'habiller les "rats de bibliothèque" pour l'hiver. L'accumulation de connaissances peut en effet encombrer le cerveau. D'où dans une "économie de la connaissance", la petite place faite à la pensée.

Pour ce jeune professeur, le constat est amer : «Les enseignants de philosophie sont désormais dans une position parfaitement réactionnaire face à l'institution scolaire et face à la société tout entière». «Ils ont le sentiment d'affronter un univers entier d'ignorance, d'approximation et de non-sens, soutenu par une idéologie générale de la subjectivité.» Et «s'accrochent (...) à un savoir, à des formes et à un langage qui n'ont, paraît-il, plus cours».

Mais, écrit-il, «l'exercice de la raison est à ce prix, celui d'une expression écrite et orale précise, appuyée sur une culture étendue. Il n'y a pas de raison en acte dans l'obscurité d'un langage sommaire, ni dans la clarté blême d'un monde sans passé». Les voilà donc ces professeurs de philosophie dans le mauvais rôle, "dos au mur" avec ceux de lettres et d'histoire, à «défendre la culture en général, les livres, l'histoire, le sens lui-même».

«Les défendre contre (...) l'idéologie individualiste et matérialiste, la séduction (...) des produits de divertissement, tous les moyens de communiquer du néant à la vitesse de la lumière.» De plus, «l'école ne veut plus former des citoyens éclairés par l'apprentissage de l'inutile. Elle fabrique des ingénieurs efficaces et des cadres soumis, et pour le reste, des serfs plus ou moins enthousiastes à l'idée de remplir des tâches vides de sens».

Les professeurs de philosophie doivent donc déployer des trésors d'imagination pour séduire, provoquer l'étonnement et «démontrer les contradictions de ce monde devant des esprits élevés au nihilisme qu'aucune contradiction ne déstabilise plus». «La raison est un effort de l'esprit pour emprunter un chemin qui n'est pas la pente naturelle de l'individu, et qui le contraint à s'élever plus haut que lui-même» «pour observer le monde». Effort surhumain ?

Effort nécessaire. «Devenir un citoyen, c'est cesser de n'être qu'un individu en lutte pour lui-même. Devenir un être moral, c'est cesser de n'agir que pour son intérêt. Devenir un être humain, c'est s'élever au-dessus de l’immédiateté et de la satisfaction facile de toute pulsion. Voilà qui n'est pas très libéral (...). Eh bien c'est cette possibilité de devenir autre chose que ce que l'on est, d'être autre chose qu'un produit, qui est en péril aujourd'hui.»

24/10/2014

Toute une éducation à refaire !

Qui ne constate l’augmentation de l'agressivité - dont le mépris est la forme la plus subtile -, que ce soit dans son immeuble ou les transports collectifs, dans la rue ou sur la route, dans les commerces ou les services publics, chez soi ou au travail... ? Les gens manifestent plus rapidement de l'hostilité et souvent pour un rien. Sorte de banalisation du comportement agressif sur l'air de "aujourd'hui, si on ne s'énerve pas, on n'arrive à rien".

Bien sûr il y a cette "incompatibilité d'humeur" (de tempérament) appelée à la rescousse pour expliquer toutes sortes de querelles entre deux personnes. Il y a aussi cette mauvaise humeur chez des personnes qui d'ailleurs semblent parfois la tenir pour du caractère ou de la personnalité, voire pour de l’intelligence. Il y a enfin un cran plus haut cette hargne (avec l'idée de "ténacité rageuse") qui révèle peut-être un manque d'humour.

La hargne, nous dit Le Petit Robert, est une "Mauvaise humeur se traduisant par des propos acerbes, un comportement agressif, parfois méchant ou haineux". Et l'humour, c'est peut-être d'abord de savoir rire, se moquer de soi-même, c'est un regard distancié afin de se garder de dramatiser ou de se prendre au sérieux, et de résister à l'amour-propre excessif qui facilement blessé, volontairement ou pas, peut réclamer vengeance.

L'individu moderne, infatué de sa personne, "trop pénétré de ses mérites", et donc incapable de reconnaître ses torts, «définit aujourd'hui ses propres règles». Il «ne tient plus compte de l'existence des autres», ne supporte plus la moindre contrariété, refuse toute autorité, toute supériorité. Mécontent de son sort, furieux de ne pas obtenir ce qu'il croit son dû, cet éternel insatisfait se pose en victime et cherche un responsable.

Le sociologue Sébastien Roche disait dans un dossier du Point que «Souvent, on se venge de ce qui nous dérange, ou nous a dérangés dans la journée, en lien ou non avec le problème présent. C'est le modèle psychologique classique frustration-agressivité». Le psychiatre et éthologue Boris Cyrulnik développait : «Aujourd'hui, beaucoup de gens sont agressifs par crainte, car ils n'ont pas trouvé d'autre moyen de s'affirmer (...).

«Vous avez aussi une multitude de petits plaisirs sadiques et misérables que les gens éprouvent en étant agressifs. Je pense aux revanchards qui se vengent de leurs problèmes (…). Il existe aussi beaucoup de "petits chefs" odieux.» Des tyranneaux sans éducation ou oublieux de leur éducation, auxquels il faudrait (ré)apprendre la politesse ! «La politesse (…), conclut Cyrulnik, reste un apprentissage nécessaire pour la vie en commun.»

17/10/2014

Le ridicule d'un monde "trop bien !"

"On joue sans se poser de question. "N'est-ce pas comme le soulignait Le Monde 2, «l'une des formules toutes faites préférées des joueurs» de foot ? Un peu comme on travaille ou on vit sans se poser de question. Trop peur des réponses ou de l'absence de réponses, ou manque absolu de curiosité ? allez savoir. Sans compter, comme disait Philippe Muray, «les discours doucereux, onctueux des gardiens actuels du Bien», qui terrorisent.

Qui pourrait avoir le toupet «de ne pas trouver paradisiaque leur paradis, de ne pas sauter de joie devant les immenses démantèlements de leurs "avancées sociétales", de ne voir aucun progrès de la démocratie dans l'abaissement de tous (...), de ne croire en rien que le prétendu art contemporain (...) prolonge l'histoire de l'art, et de ne discerner aucun effet bénéfique de leur sacro-sainte "société ouverte" dans le tourisme de masse»... ?!

Non, "tout est bien", puisqu'on vous le dit ! Vive la modernité ! Y'a rien à jeter ! C'est à admettre en bloc. Emettre ne serait-ce qu'un doute, une critique vous expose à l'excommunication. "Archaïque", "réactionnaire", "populiste", "fasciste", etc., autant d'anathèmes jetés «dans le but qu'aucune question ne soit posée sur la réalité actuelle». Le regretté romancier, essayiste et pamphlétaire dénonçait ce «chantage ultra-violent».

Homo festivus, "l’agité du bocal" habitant cette «société de l'éloge et de la prosternation», toujours à trouver "génial !" n'importe quoi pourvu que ç'ait l'air de la nouveauté, se caractérise dans son angélisme par «son parler-bébé continuel, son narcissisme incurable, sa passion des contes de fées, son refoulement du réel (...), son illusion de toute-puissance, sa vision confuso-onirique du monde et son incapacité, bien sûr, de rire».

La gravité de cet admirateur congénital est à pleurer. Ces mines qu'il fait quand il s'écrie : "oh ! j'adore", "ch'uis fan", pendant que «ces briseurs professionnels de tabous, ces applaudisseurs de toutes les désinhibitions, ces bénisseurs de toutes les transgressions et ces encenseurs de toutes les violations d'interdits», bref les âmes damnées de notre époque l'aident à «croître et embellir en violence, en barbarie, en bestialité».

«Ces maléfiques» ne s'interdisent rien pour interdire l'examen de «leur œuvre» qui ainsi «étend ses méfaits», et pour «empêcher que leurs exactions soient connues en détail». Mais Philippe Muray annonçait sur Parutions.com le début de leur fin. Et il y aura œuvré ! en dessillant nos yeux sur ce «némonde» "géant !", "super !", "trop bien !", et en nous le montrant tel qu'il est : une immense «bouffonnerie qui ne se voit plus elle-même».