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08/11/2021

"Souviens-toi, homme, que tu es poussière..."

«Les vivants ont peur des morts. C'est pourquoi ils disent immanquablement du bien de ceux qui viennent de disparaître» écrivait Françoise Giroud qui "détestait les embaumements" d'après le journal Le Monde. La cofondatrice de L'Express, journaliste et écrivain, secrétaire d'Etat à la condition féminine puis à la culture avait peut-être raison. Mais on peut ajouter que les vivants espèrent peut-être aussi qu'ils seront "payés de retour".

Un bel éloge funèbre prononcé si possible par une personnalité, n'est-ce pas un beau rêve pour un mortel ? Le voilà paré de toutes les qualités pour franchir les portes du paradis. Si c'est un "important", et mort en exercice, on saluera son dévouement exemplaire, le don de sa personne, son sacrifice jusqu'au bout..., et blablabla. En oubliant qu'il n'a fait que ce qu'il aimait et que souvent ce sont ses proches qui ont été sacrifiés.

Sœur Emmanuelle, avec son franc-parler, disait dans son livre Vivre, à quoi ça sert ? chez Flammarion : «On me parle de sacrifice, ça me fait rigoler ! Quand on aime, il n'y a pas de sacrifice, mais une dilatation. Le sacrifice, c'est encore de l'égoïsme pur. Celui ou celle qui prétend se sacrifier ne fait que construire l'idole de soi-même, sa statue héroïque de sainte-Nitouche que les autres doivent élever sur l'autel dressé à sa propre gloire».

Les justifications souvent avancées, tels «Le service des autres, le souci du bien public, écrivait l'académicien Bertrand Poirot-Delpech dans Le Monde, ne servant qu'à masquer, chez ces ambitieux pathologiques, le soin de leur statue, de leur stature, d'une certaine pause, regard à la caméra, sérieux comme un pape, torse et front bombés, mèche proprette de communiant n'en revenant pas, décidément, d'être soi, si excellent».

Mais pour lui comme pour le commun des mortels commence le retour au néant. La crémation est la solution qui a tout pour plaire. Définitive, rapide, pratique, économique, "hygiénique" (sic), tout y pousse, y compris les constructions de crématoriums et les progrès de l'incrédulité. Et puis, peut-être qu'à la peur de mourir se superpose la peur de pourrir ; le culte du corps mettant ainsi à mal le culte des morts dont on perd la trace.

Sinon on attend la fin de la concession dans le cimetière, au plus deux générations, quand plus personne ne le réclamera, pour jeter ses restes dans la fosse commune ou pour les incinérer et les disperser sur "les jardins du souvenir" comme ils disent, qui sont en fait les décharges de l'oubli. Un mort ne survit ici-bas que le temps de la mémoire de ceux qui l'ont connu. Ni les regrets ni son souvenir ni même son repos ne sont éternels.

15/02/2013

Au pied du mur ou dans le mur ?

Nous ne pouvons pas dire que nous n'avons pas été avertis. De partout nous sont arrivés des propos alarmants. Il y a seize ans déjà, Françoise Giroud déclarait au Monde : «C'est la période la plus noire que j'ai connue, à cause de cette désespérance. Certes, j'ai vécu la guerre, les années noires de 1940-1945. Mais on espérait, on se battait. Aujourd'hui les gens se sentent impuissants, et, probablement, ils le sont».

«Plus personne ne contrôle plus rien, confiait en 2003 au Point le ministre-philosophe Luc Ferry. On est dépossédé. La marge de manœuvre et d'efficacité est étroite (...).» Et il s'interrogeait : «Est-ce qu'on est là pour décorer ? Est-ce que la politique existe ou bien disparaît-elle au profit de l'économie mondialisée et de la communication ?». Il se disait pourtant «confiant quant aux chances de limiter le contrecoup social de la mondialisation».

Limiter la casse, voilà à quoi était réduit le gouvernement. François Fillon, ministre alors des affaires sociales..., ne disait pas autre chose à un «Grand Jury RTL-"Le Monde"-LCI» : «(…) On va être placés devant des situations très difficiles en matière d'emploi dans les années qui viennent parce que l'élargissement de l'Union européenne, la montée en puissance de nouveaux pays industriels vont provoquer des délocalisations en cascade».

Mais, ajoutait-il, «nous devons éviter que le rythme de ces délocalisations soit incompatible avec la capacité de réaction de l'économie française». Comment ? Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, en parlait aux 4 Vérités sur France 2 : «On a un pouvoir de créer, disons, les conditions pour que les acteurs économiques aient envie d'entreprendre et (...) créent les conditions de cette croissance».

Quel pouvoir !? La croissance n'était pas au rendez-vous, le déficit budgétaire et la dette se creusaient. Et Jacques Attali dans L'Express annonçait avant fin 2003 un plan de rigueur, «ce qui ramènera notre puissance et notre rayonnement à sa triste mesure. Il s'ensuivra une accélération de l'augmentation du chômage : les plans de licenciement d'aujourd'hui ne sont rien à côté de ceux qui se préparent». Nous étions au pied du mur.

Au stade où, comme le soulignait Patrick Devedjan, ministre délégué aux libertés locales, «L'important, c'est de maintenir la cohésion sociale». Françoise Giroud s'exprimait encore ainsi : «On a envie de dire : arrêtons-nous cinq minutes, réfléchissons. Mais est-ce que les gens ont encore la faculté de réfléchir ? (...) Je ne crois pas au progrès moral, mais je crois au progrès social, et nous sommes en pleine régression».