02/07/2025
La guerre russo-ukrainienne n'aurait pas dû avoir lieu
Pour comprendre les raisons véritables de la guerre déclenchée en Ukraine le 24 février 2022 par la Russie, il me semble intéressant de revenir sur un article publié en France le 13 mai 2024 sur le site internet du journal Le Figaro. Signé Gregor Schwung, rédacteur en chef du département de politique étrangère au quotidien allemand Die Welt à Berlin, il expose les termes d’un projet confidentiel d’accord de paix entre les deux pays belligérants. Fruit d’une négociation entamée dès les premières semaines de l’invasion russe, organisée notamment à Istanbul sous la médiation du président turc Recep Tayyip Erdogan, ce projet d’accord se présente sous la forme d’un document de dix-sept pages dont Die Welt a pu consulter la version originale arrêtée au 15 avril 2022, soit sept semaines après le début du conflit. « Il ressort de l’article 18 du projet d’accord, explique Gregor Schwung, que les négociateurs pensaient à l’époque que les deux chefs d’État [Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky] signeraient le document en avril 2022 », sans doute fin avril, lors d’un sommet pour la paix qui finalement n’aura jamais lieu, pour des raisons qui sont encore discutées.
Le plus important est qu’« à sa lecture, comme l’écrit Benoît Bréville dans un éditorial du Monde diplomatique de juin 2024, on mesure les priorités des deux camps, et l’ampleur des compromis auxquels ils étaient disposés pour faire cesser les combats », et notamment le fait que « plutôt que des conquêtes territoriales, la Russie cherche à obtenir des garanties de sécurité à ses frontières ». Pour résumer, d’un côté pour l’Ukraine : neutralité militaire permanente avec renonciation à toute alliance militaire, interdiction de toute base ou toute troupe étrangère sur son sol et réduction des effectifs de son armée et de son arsenal, à laquelle s’ajoute la possibilité d’adhérer à l’Union européenne ; de l’autre pour la Russie : retrait de ses troupes des zones occupées depuis le 24 février, engagement de non-agression vis-à-vis de l’Ukraine, acceptation d’une garantie de sécurité multilatérale par notamment les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Le Monde diplomatique y revient un mois plus tard dans un article de Samuel Charap, politiste à la Rand Corporation, et Serguëi Radchenko, professeur d’histoire à l’université Johns-Hopkins. Ceux-ci tirent quelques grands enseignements des événements de ce printemps 2022. D’abord, « l’ouverture rapide de pourparlers suggère que le président russe a très tôt abandonné l’idée d’un changement de régime » en Ukraine. Puis, suite peut-être aux revers de son armée au mois de mars, la Russie accepte le 29 mars le texte d’un communiqué commun précisément intitulé : Stipulations-clés du traité sur les garanties de sécurité de l’Ukraine. Sont cités comme garants possibles les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies dont la Russie et aussi des pays comme l’Allemagne, le Canada, Israël, l’Italie, la Pologne et la Turquie, avec des obligations très précises pour apporter toute l’aide nécessaire à la sécurité de l’Ukraine et également, l’engagement de « confirmer leur intention de faciliter l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne », alors que Vladimir Poutine en 2013 pressait le président de l’Ukraine de l’époque de ne pas signer un simple accord d’association avec l’Union européenne. Et la Russie va encore plus loin en acceptant de négocier le statut de la Crimée (annexée en mars 2014 et considérée jusqu’alors comme russe) mais dans un délai de quinze ans.
Sur le terrain, ce même 29 mars, l’armée russe met fin à son offensive qui devait être éclair sur la capitale ukrainienne Kiev et se concentre sur le front Est. Tout semble donc aller dans le sens d’un accord de paix prochain même si des désaccords profonds subsistent concernant par exemple le consensus nécessaire ou pas des États garants, ou la taille et la structure de la future armée ukrainienne. Les concessions accordées néanmoins par la Russie mettent en lumière ce qui pour elle n’est pas négociable et qui constitue la ou une des véritables raisons de la guerre : la « neutralité permanente » de l’Ukraine dans le but, comme l’exprime une note de la Fondation pour la Recherche Stratégique, de « reprendre le contrôle de l’Ukraine ».
Il est frappant de constater que ces faits corroborent les propos tenus dans le journal The New Yorker du 1er mars 2022 par le politologue américain John Mearsheimer. Cinq jours après l’entrée de l’armée russe en Ukraine, ce politologue « pense qu’il y a une sérieuse possibilité que les Ukrainiens puissent trouver une sorte de modus vivendi avec les Russes », un compromis. Dans la logique de Mearsheimer, "partisan de la politique des grandes puissances" qui, ajoute l’intervieweur du New Yorker, est "une école de relations internationales réalistes qui suppose que, dans une tentative intéressée de préserver la sécurité nationale, les États agiront préventivement en anticipant leurs adversaires" : « (…) ce que les Russes veulent, c’est un régime à Kiev qui soit à l’écoute des intérêts russes. Il se peut qu’en fin de compte, les Russes soient disposés à vivre avec une Ukraine neutre et qu’il ne soit pas nécessaire que Moscou ait un contrôle significatif sur le gouvernement de Kiev. Il se peut qu’ils veuillent simplement un régime neutre et non pro-américain ».
Par ailleurs, il « semble assez clair » à John Mearsheimer que Vladimir Poutine « est intéressé à prendre au moins le Donbass, et peut-être un peu plus de territoire et l’est de l’Ukraine » et « il semble évident qu’il ne touche pas à l’ouest de l’Ukraine ». Pour lui, cette conquête et celle de la Crimée huit ans plus tôt seraient la conséquence d’une volonté d’expansion occidentale, États-Unis et alliés européens, par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et l’Union européenne (UE), et d’une transformation de l’Ukraine, et aussi de la Géorgie et d’autres pays, en démocraties libérales amies de l’Occident, le tout visant à établir une zone de paix élargie à l’Europe de l’Est. « Je pense que tous les problèmes, précise-t-il, ont vraiment commencé en avril 2008, au sommet de l’OTAN à Bucarest, où l’OTAN a ensuite publié une déclaration disant que l’Ukraine et la Géorgie feraient partie de l’OTAN. A l’époque, les Russes ont clairement indiqué qu’ils considéraient cela comme une menace existentielle ». Mais, « il est très important de comprendre que, jusqu’en 2014, nous n’envisagions pas l’expansion de l’OTAN et de l’UE comme une politique visant à contenir la Russie. Personne ne pensait sérieusement que la Russie était une menace avant le 22 février 2014 », date de la destitution par le Parlement ukrainien du président pro-russe Viktor Ianoukovitch, permettant ainsi l’arrivée au pouvoir du parti pro-occidental et antirusse, et le maintien de l’accord d’association avec l’Union européenne. Date aussi à partir de laquelle s’enchaîneront l’annexion par la Russie de la Crimée, l’offensive ukrainienne contre les forces sécessionnistes de la région ukrainienne russophone du Donbass et l’envoi de commandos russes pour les soutenir (début de la guerre civile du Donbass qui fera au moins 14 000 morts), la formation et l’équipement par l’OTAN (en particulier les Anglo-Saxons) de l’armée ukrainienne, l’accès pour cette dernière au système américain d’information et de renseignement par satellites…
Ce n’est qu’à partir de ce moment-là, selon John Mearsheimer, que les Occidentaux ont commencé à développer la rhétorique d’une Russie agressive, pour lui attribuer toute la responsabilité de la situation, cherchant à reprendre position en Europe de l’Est voire à constituer une grande Russie ou même à reconstituer l’empire russe ou l’URSS (Union des républiques socialistes soviétiques) en mettant sous sa coupe les ex-pays satellites, voire encore à pousser jusqu’à Berlin ou Paris. Mais pour le politologue américain, « l’Occident, en particulier les États-Unis, est le principal responsable de ce désastre. (…) S’il n’y avait pas eu de décision de déplacer l’OTAN vers l’Est pour inclure l’Ukraine, la Crimée et le Donbass feraient aujourd’hui partie de l’Ukraine, et il n’y aurait pas de guerre en Ukraine ». D’où son "conseil" à l’Ukraine alors que l’offensive russe vient seulement de débuter (nous sommes le 1er mars), d’adopter une stratégie de prise de distance avec l’Occident et surtout les États-Unis, et de tenter de trouver un terrain d’entente ou un accord avec les Russes. C’est en effet ce que l’Ukraine fera jusqu’à la rupture des négociation fin avril, début mai.
John Mearsheimer n’est pas le seul à défendre cette thèse d’un Poutine « acculé à la guerre par l’OTAN, (…) et afin de sécuriser le Donbass et la Crimée » (Guerre en Ukraine - Les origines du conflit, site Hérodote). En France, l’ancien ministre des affaires étrangère Hubert Védrine s’est positionné très rapidement du côté des diplomates dits "réalistes" et faisait part de ses réflexions notamment au Figaro le 24 février 2022. Il rappelait qu’Henry Kissinger, ancien secrétaire d’État et conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, « déplorait il y a une dizaine d’années qu’on ait fait aucun effort après la fin de l’URSS pour associer la Russie à une ensemble de sécurité en Europe ». Et Pascal Boniface, le directeur de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), ne dit pas autre chose dans l’émission Géopolitis quand il avance que « (…) cette guerre aurait pu être évitée si on avait plus traité la Russie comme un véritable partenaire et non pas comme un pays qui ne comptait plus sur la scène internationale et duquel on pouvait finalement ne pas tenir compte ». D’où des « erreurs » occidentales comme « la guerre au Kosovo, l’élargissement de l’OTAN, le déploiement d’un système antimissile qui remettait en cause la parité nucléaire entre Moscou et Washington, l’intervention en Libye ».
La non prise en considération des préoccupations du pouvoir russe était souligné aussi, rappelle encore Hubert Védrine, par Zbigniew Brzeziński, le conseiller à la sécurité nationale du président américain Jimmy Carter pendant la guerre froide, qui « considérait que c’était une provocation contre-productive d’annoncer l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan en 2008, et qu’il fallait au contraire bâtir un statut de neutralité, de finlandisation, avec une double garantie pour l’Ukraine et pour la Russie. Ça n’a pas été fait » ni en avril 2022. Et c’est ainsi selon Hubert Védrine qu’« on a contribué à créer un monstre ». On peut citer également un confrère de John Mearsheimer, Stephen Walt qui évoquait un « dilemme de sécurité » dans le sens qu’« il était parfaitement logique que les États d’Europe de l’Est veuillent entrer dans l’OTAN (ou s’en approcher le plus possible), compte tenu de leurs préoccupations à long terme concernant la Russie. Mais il aurait dû être également facile de comprendre pourquoi les dirigeants russes - et pas seulement Poutine - considéraient cette évolution comme alarmante. Il est maintenant tragiquement clair que le pari n’a pas été payant, du moins pas en ce qui concerne l’Ukraine et probablement la Géorgie ».
Une note de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) est très explicite à ce sujet. Intitulée Les origines historiques de la guerre en Ukraine, elle commence par remarquer que « les faits montrent que tous les pays de l’ancien bloc de l’Est ayant appartenu par la force au pacte de Varsovie ont, dès le début des années 1990, voulu rejoindre l’OTAN, qui est une alliance défensive ». Et en effet, on ne peut ignorer que ces pays qui avaient connu l’occupation soviétique mais aussi auparavant l’influence ou la mainmise de la Russie, souhaitaient se mettre à l’abri de toute nouvelle visée interventionniste ou expansionniste. Et puis, si l’on en croit une analyse dans la Revue des Deux Mondes de Philippe Boulanger, docteur en droit public : « Indépendante en 1991, dotée d’une stabilité territoriale relative entre 1954 et 2014, l'Ukraine n'a cessé d'être un enjeu d'hégémonie continentale entre Washington et Moscou, avec comme interface l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et la perspective de la poussée chinoise ». Cela rejoint ce qu’écrivait Zbigniev Brzeziński dans son livre publié en 1997, The Grand Chessboard (Le Grand Échiquier), qui identifiait « les trois leviers qui permettraient aux États-Unis de conserver le premier rôle dans les affaires mondiales au XXIe siècle : contenir la poussée de la Chine, ce qui est lucide ; poursuivre la division des Européens, objectif constant depuis 1945 ; couper la Russie ex-soviétique de l’Ukraine, dont l’arraisonnement donne au Kremlin la possibilité de jouer un rôle mondial ». « Brzeziński qualifie l’Ukraine de "pivot géopolitique". Sans elle, la Russie cesse d’être un empire eurasien. »
D’où l’appréciation de Philippe Boulanger que « l’Ukraine est dans le viseur russe depuis 1991 » et même que « Vladimir Poutine a accentué la pression. En juillet 2021, il prononce un texte programmatique de vingt-cinq pages intitulé "De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens" qui cristallise sa perception des relations entre les deux peuples et légitime l’annexion de l’Ukraine ». Ce qui fait dire au géopolitologue Alexandre del Valle lors d’un entretien paru le 29 février 2024 dans le magazine Valeurs actuelles, que « si l’on avait prêté un peu d’attention au personnage, à sa culture, à ses discours, on se serait aperçu que la volonté de revanche de Poutine existait en elle-même, qu’elle n’avait nul besoin de "provocation" occidentale pour s’exprimer. C’est la nostalgie de la puissance russe à l’ombre du soviétisme qui l’anime. Il veut retrouver cette puissance en usant de vieux outils soviétiques qu’il connaît : les rapports de force, le chantage, la subversion, la guerre. De plus, comme tout dictateur, Poutine ne peut pas supporter que figurent dans son entourage proche d’autres modes de gouvernance que le sien, de peur que le peuple soit tenté. C’est l’Ukraine en voie de démocratisation que cherche à détruire le maître du Kremlin pour garder le contrôle total chez lui ».
Ces raisons profondes et ces intérêts géopolitiques sous-jacents ne doivent pas être sous-estimés. Mais pour revenir à la note de l’IHEDN, il existe aussi des « arguments historiques récents avancés par la Russie », sous forme de quatre principaux griefs qui peuvent apparaître comme de possibles facteurs déclenchants, pour certains déjà évoqués précédemment. Premier grief : le déséquilibre dans les relations internationales dû à la suprématie américaine et qui trouve son expression dans cette phrase prononcée à l’intention des États-Unis par Vladimir Poutine à la Conférence de Munich sur la sécurité en 2007, soulignant « le dédain pour les principes de base du droit international et un hyper usage quasi irréfréné de la force ». Exemples : les bombardements de l’OTAN sans accord de l’Organisation des Nations Unies contre les Serbes au Kosovo et en Serbie en mars 1999, la décision unilatérale des États-Unis de sortir du traité "Anti-Ballistic Missile" (ABM) signé en 1972 à Moscou ou l’intervention de 2003 en Irak. Deuxième grief : les deux élargissements de l’OTAN à la Hongrie, la Pologne et la République tchèque en 1999, puis à la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie en 2004 . Troisième grief : l’annonce en avril 2008 de l’adhésion à terme de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’OTAN (à laquelle il faut ajouter en juin 2008 le lancement d’un projet de partenariat européen avec les ex-pays soviétiques limitrophes des frontières extérieures de l’Union européenne), adhésion suspendue par la guerre russo-géorgienne en août 2008 aboutissant à l’indépendance des provinces géorgiennes séparatistes de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie soutenues par la Russie. Quatrième grief : les accords de Minsk II (février 2015) non-appliqués, en particulier concernant les séparatistes prorusses. Accords de Minsk II censés résoudre le conflit entre ces derniers et l’armée ukrainienne dans le Donbass et signés également par la France et l’Allemagne, qui n’avaient aucune chance d’être appliqués « comme l’ont reconnu François Hollande et Angela Merkel en avouant qu’ils servaient à faire gagner du temps à l’armée ukrainienne » rappelle Alexandre del Valle.
Quand on pense qu’« après l’URSS, la Russie d’Eltsine et de Poutine a fait énormément de concessions et a avalé beaucoup de couleuvres pour plaire à l’Occident. Elle voulait entrer dans l’Otan, avait instauré un système capitaliste, avait aboli le soviétisme et elle a même ensuite établi une flat tax à 13 %. On était déjà loin du communisme ! Cette Russie avait également accepté, certes contre son gré, l’extension de l’Otan de plus en plus loin vers l’Est, tout en fixant les lignes rouges à la Géorgie et à l’Ukraine » souligne encore Alexandre del Valle. C’est donc l’impression d’un immense gâchis qui domine et d’une invasion russe tout à fait évitable dont les dégâts considérables s’étendent bien au-delà de l’Ukraine. Au moins deux articles signés du général Jean-Claude Allard, chercheur associé à l’IRIS, mettent en avant deux objectifs politiques ou visées stratégiques de l’« opération militaire spéciale » contre l’Ukraine : « D’une part, manifester la détermination russe à s’opposer à l’unilatéralisme américain et tenter de rallier à cette cause une majorité des pays du monde non occidental. (…) D’autre part, obtenir de façon pérenne (…) la souveraineté russe sur la Crimée annexée, (…) l’indépendance des deux républiques autoproclamées du Donbass [et] (…) une bande de territoire pour "nationaliser" la mer d’Azov et contrôler la mer Noire ». Deux objectifs peut-être sur le point d’être atteints ou au moins partiellement par la Russie.
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12/06/2025
Conflagration après le 7 octobre 2023
L’horreur des massacres perpétrés en Israël par le Hamas ont bouleversé si ce n’est émotivement, au moins géopolitiquement le Moyen-Orient et au-delà. En un an et demi, toutes les cartes, y compris territoriales, ont été rebattues, en particulier pour le Liban et la Syrie, pendant que l’État hébreux avance ses pions. Jusqu’où ?
« En 2023, Israël avait la fausse impression de vivre en sécurité : les États voisins ne représentaient plus une vraie menace car un traité de paix avait été conclu avec l’Égypte et la Jordanie, la Syrie se gardait de toute initiative hostile et le Hezbollah, après la guerre des 33 jours de 2006, ne montrait qu’une activité réduite par-delà ses menaces verbales. Depuis la fin de la deuxième Intifada, le terrorisme palestinien, exercé notamment par le Hamas, n’était qu’épisodique et semblait sous contrôle quitte à "tondre le gazon" régulièrement dans la bande de Gaza. Un processus de normalisation avec un certain nombre d’États arabes était en cours à travers les accords d’Abraham. Le 7 octobre constitue un réveil brutal qui pose en termes nouveaux le problème de la sécurité d’Israël. » Ainsi s’exprime Denis Bauchard, conseiller pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et ancien ambassadeur notamment en Jordanie[1].
« Dans le même temps, de nombreux pays se trouvent dans une situation de chaos politique, militaire ou humanitaire. C’est le cas de la Syrie, exsangue après plus de treize années de guerre et vidée d’un quart de sa population (plus de six millions de Syriens sont partis en exil). Le pouvoir de Bachar el-Assad ne contrôle qu’une partie du territoire. Le Liban, pour d’autres raisons, est dans une situation de désastre politique et économique. Il est sans président depuis octobre 2022 et son gouvernement, qui ne se réunit plus, dirigé par le président du Conseil Najib Mikati, proche de la Syrie, se contente d’expédier les affaires courantes ».[2]
Israël : un choix stratégique aux lourdes conséquences
Les massacres et la prise en otage de respectivement près de 1200 et 250 israéliens et d’autres nationalités lors des attaques terroristes du Hamas le 7 octobre 2023, déclenchent une riposte militaire de l’État hébreu. Cette guerre d’Israël contre le Hamas dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie et dans certains pays étrangers par des attentats ciblés, vise à éradiquer les capacités militaires et politiques du groupe islamiste sunnite qui est une « branche palestinienne des Frères musulmans palestiniens [dont] la création remonte à 1987 et qui a été longtemps et imprudemment ménagée voire encouragée par les Israéliens eux-mêmes pour affaiblir l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ».[3]
Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine et animateur du blog La voie de l’épée, explique que la stratégie finalement d’Israël « consistait à conquérir le territoire de Gaza, en ménageant autant que possible le terrain et la population, par principe humanitaire, mais aussi pour préserver son image, y démanteler le Hamas et le ramener à la clandestinité tandis qu’une nouvelle administration, logiquement de l’Autorité palestinienne, serait mise en place avec l’aide internationale. La présence militaire israélienne céderait alors progressivement la place aux forces de sécurité palestiniennes. Le Hamas ne constituerait plus un proto-État dans lequel puiser des ressources, il serait étouffé et à terme peut-être effectivement éradiqué à la manière de l’État islamique en Irak, éliminé de Bagdad en 2007-2008 par les forces américaines et irakiennes. La libération des otages serait surtout obtenue par des négociations locales avec les groupes et clans qui les détiennent et/ou par des opérations ponctuelles de récupération en force au sein d’un espace complètement occupé et quadrillé ».[4]
« Plus de dix mois après le drame du 7 octobre 2023, l’État d’Israël s’enfonce dans une guerre longue, à la fois contre le Hamas mais également contre l’axe iranien. Cet affrontement s’est également régionalisé. En effet, il s’étend du Liban au Yémen en passant par la Syrie et l’Irak » écrit de son côté Arnaud Peyronnet, chercheur associé à la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES).[5]
Tsahal : une conquête du terrain pied à pied
A l’opération Déluge d’al-Aqsa du Hamas, secondé par le Jihad islamique palestinien, le Front populaire de libération de la Palestine et le Front démocratique pour la libération de la Palestine, Israël oppose donc l’opération Épées de fer. Face aux milliers de roquettes et autour de 3000 terroristes qui s’abattent sur une vingtaine de villes et kibboutz de l’"enveloppe de Gaza" limitrophe de la Bande de Gaza, la contre-offensive israélienne consiste en une reprise de contrôle du territoire envahi, en un blocus renforcé et des bombardements de la Bande de Gaza avant son invasion et des combats terrestres avec l’aide de l’aviation ciblant les infrastructures du Hamas et ses combattants. Tsahal (l’armée israélienne) demande l’évacuation de la population du nord de Gaza dès le 13 octobre mais le Hamas lui réclame de rester. Au total, près de 2 millions de Gazaouis seront finalement déplacés dans des camps de réfugiés au sud.
Une première trêve est annoncée par le Qatar pour le 24 novembre, prévoyant le passage d’une aide humanitaire pour les réfugiés et aboutissant à la libération de 110 otages israéliens et étrangers contre 210 prisonniers palestiniens. Les combats reprennent le 1er décembre et s’étendent au sud de la Bande Gaza jusqu’à la ville de Rafah à la frontière égyptienne. En février 2024 à Rafah et en juin dans le camp de réfugiés de Nuseirat, l’armée israélienne libère respectivement deux et quatre otages au cours d’assauts particulièrement meurtriers. Le 31 juillet 2024, venu à Téhéran pour la cérémonie d’investiture du nouveau président iranien Massoud Pezechkian, le chef du bureau politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, est assassiné par Israël. Ce qui déclenche une riposte de l’Iran (voir ci-dessous).
Un bilan lourd, des buts de guerre non atteints
Un an après le 7 octobre 2023, évoquant le sort des otages israéliens et de nationalités étrangères, Michel Goya avance que « les autres sacrifiés, "sacrifiés nécessaires" selon les termes de Yahya Sinouar [chef de la Bande de Gaza et du Hamas, un des concepteurs des attaques terroristes du 7 octobre], sont les civils gazaouis. L’usage intempestif de la puissance de feu, en particulier aérienne, pour obtenir ce rapport de 50 combattants ennemis tués pour 1 soldat israélien, a largement transféré le risque des soldats vers la population. Il y a un consensus pour estimer les pertes civiles directes de cette guerre à une fourchette de 20 000 à 30 000 morts et le triple ou le quadruple de blessés plus ou moins graves, soignés dans des conditions difficiles au sein d’un territoire ravagé. Comme ces ravages s’accompagnent d’une crise humanitaire, il n’est pas exclu que ces pertes directes soient dépassées par les pertes indirectes dues à la malnutrition ou aux problèmes sanitaires ».[6]
Dans les coulisses, l’Organisation des Nations Unies (ONU), la Cour internationale de justice ou la Cour pénale internationale tentent d’influer sur le cour des événements. Des propositions de cessez-le-feu et d’accord sur les otages négociées par l’intermédiaire notamment du Qatar ou de l’Égypte et des Etats-Unis n’aboutissent pas. Et ce n’est que le 15 janvier 2025 que finalement un accord de cessez-le feu entre Israël et le Hamas parvient à un échange contre 1778 prisonniers, de 30 otages, dont 25 Israéliens et 5 Thaïlandais, sans compter huit corps rapatriés dont deux bébés. Mais ces échanges donnant lieu pour les otages à des « cérémonies humiliantes » de la part du Hamas, qui de plus en profite pour reconstituer et réorganiser ses forces, Israël refuse de passer à la deuxième phase prévoyant à partir du 27 février le retrait de Tsahal de la Bande de Gaza et la libération des derniers otages, puis bloque l’aire humanitaire début mars. Et le 18 mars 2025, l’armée israélienne reprend le bombardement de Gaza, tuant notamment le chef du gouvernement du Hamas, Essam al-Dalis.
Un an et demi plus tard, les objectifs d’éradication du Hamas et de libération des otages ne sont pas atteints ; il resterait 58 otages dont 34 morts.
Le Hezbollah libanais en ligne directe avec l’Iran
Parallèlement, comme le rappelle Arnaud Peyronnet : « Israël subit des attaques régulières du Hezbollah le long de la Ligne Bleue ou sur le plateau du Golan, conduisant à l’évacuation de plus de soixante mille habitants des villages frontaliers israéliens et des tirs de riposte systématiques de Tsahal ».[7] Avec le Hezbollah qui se retire partiellement dès le 7 octobre 2023 de la guerre civile syrienne où il combattait l’opposition syrienne et l’État islamique, et soutenait de fait le président syrien Bachar el-Assad, le Sud-Liban devient ainsi une deuxième ligne de front, bientôt rejoint par la Syrie où les forces israéliennes se doivent aussi « de cibler méthodiquement les représentants du corps des Pasdarans iraniens, notamment à Damas, ceux-ci étant accusés d’organiser les transferts d’armements vers le Hezbollah ».[8] En effet ce dernier a été « créé à initiative de l’Iran après l’invasion du Liban par Tsahal en 1982. Ce mouvement chiite a des liens étroits avec l’Iran, qui lui fournit financements et armements, tout en ayant un agenda proprement libanais. Il dispose d’une véritable armée aguerrie de l’ordre de 50 000 combattants et d’un arsenal important (…) ».[9]
Et ainsi que le remarque Sami Aoun, professeur émérite à l’École de politique appliquée (EPA) de l’Université de Sherbrooke (Canada) et directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (OMAN) à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM : « le Hezbollah chiite libanais, intégré dans la Force Al-Qods, est une faction redoutable de la stratégie iranienne d’"encerclement par le feu" de l’État d’Israël. Dans ce cadre, le Sud du Liban est soumis aux impératifs stratégiques iraniens, où une guerre de l’ombre et de procuration justifiée religieusement pour soutenir le Hamas et le djihad islamique contribue à renforcer les ambitions de Téhéran, son expansion et son programme nucléaire ». Ce qui fait ajouter à Sami Aoun que « l’État parallèle du Hezbollah engage le pays dans des conflits régionaux et compromet sa diplomatie, traditionnellement neutre et alignée sur le consensus arabe, avec des liens rapprochés avec la France et les États-Unis ».[10]
Défaite du Hezbollah et élection du président Aoun au Liban
Les raids aériens israéliens s’intensifient en réponse aux tirs de roquettes du Hezbollah jusqu’à la frappe de 270 cibles par 100 appareils le 25 août 2024. Et les 17 et 18 septembre, ce sont des centaines de bipeurs et de talkies-walkies piégés détenus par des cadres de la milice, qui explosent simultanément, décapitant l’organisation djihadiste chiite. Les bombardements de l’armée israélienne deviennent massifs sur le Liban avant une offensive terrestre de Tsahal et la mort de Hassan Nasrallah, secrétaire général et guide spirituel du Hezbollah, et d’une vingtaine de responsables le 27 septembre.
Le cessez-le-feu intervient le 27 novembre et Joseph Aoun est élu président de la République libanaise le 9 janvier 2025 après plus de deux ans de vacance de la présidence. Avec son Premier ministre, Nawaf Salam, il devra s’atteler à « la stabilisation de la frontière » avec la Syrie, au « déploiement de l’armée libanaise au sud du fleuve Litani » et au « désarmement des forces armées miliciennes du Hezbollah », tous deux indispensables « pour la mise en application du cessez-le-feu avec Israël au sud du pays, en vertu des résolutions 1559 et 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies »[11] précise l’analyste en stratégie internationale Thomas Sarthou.
La Syrie et l’Iran main dans la main
En Syrie, dès le 12 octobre puis le 22 octobre 2023, l’aviation israélienne bombarde et détruit notamment les pistes d’atterrissage des aéroports de Damas et Alep. Deux jours plus tard, Tsahal riposte toujours par les airs à des tirs de mortier venus des forces syriennes et frappe par la suite les positions du Hezbollah en Syrie. Le 1er avril 2024, le consulat iranien à Damas est ciblé par l’armée de l’air israélienne, provoquant la mort du chef de la force d’Al-Qods, le général Mohammad Reza Zahedi du Corps des gardiens de la révolution islamique et de sept autres membres de ce Corps. En représailles, l’Iran par l’opération Promesse honnête lance le 13 avril sur Israël environ 330 drones, missiles balistiques et missiles de croisière, de son propre territoire et aussi du Yémen par les Houthis. Presque tous seront abattus en vol par les défenses antiaériennes d’Israël (le "dôme de fer") et de ses alliés américains, britanniques, français et jordaniens. L’armée de l’air israélienne répliquera le 19 avril en frappant par des missiles un site radar de défense aérienne protégeant une usine iranienne d’enrichissement d’uranium et des objectifs en Irak et en Syrie.
Le 1er octobre 2024, l’Iran réitèrera ses attaques directes après l’assassinat en Iran du chef du bureau politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, et le bombardement du siège du Hezbollah au Liban provoquant notamment la mort d’Hassan Nasrallah, secrétaire général et guide spirituel du Hezbollah le 27 septembre 2024. Deux vagues de missiles balistiques ciblent des installations militaires israéliennes mais seront une nouvelle fois interceptés pour la plupart. En réponse, le 26 octobre, l’armée israélienne vise en Iran des installations de fabrication de missiles, des batteries de missiles sol-air et d’autres systèmes aériens. Ainsi que le dit Didier Billon, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) : « Comme il a été constaté à deux reprises, en avril puis octobre 2024, les bombardements croisés entre la République islamique [d’Iran] et Israël sont restés sous contrôle, chacun des protagonistes sachant jusqu’où ne pas aller et ne franchissant donc pas la ligne rouge tacite. Probablement le cabinet Netanyahou aurait voulu frapper plus fort, mais, c’est à souligner, l’administration Biden a su pour une fois se montrer dissuasive pour empêcher des frappes israéliennes sur les installations nucléaires ou pétrolières iraniennes. Pour autant, ces opérations ont souligné l’asymétrie militaire entre les deux protagonistes ce qui ne manque pas d’inquiéter les dirigeants de Téhéran, d’autant que le retour de Donald Trump au pouvoir risque d’affaiblir encore leur situation ».[12]
La chute du régime Assad
C’est alors qu’en Syrie l’affaiblissement du pouvoir de son président Bachar el-Assad, lié à l’affaiblissement de ses alliés (Russie, Iran, Hezbollah), provoque, comme l’écrit toujours Didier Billion, une « offensive foudroyante de Hayat Tahrir al-Cham partant de la province d’Idlib » le 27 novembre 2024. Ce groupe rebelle islamiste sunnite, connu aussi sous le sigle HTC, était partie prenante à la guerre civile syrienne déclenchée en 2011. En une douzaine de jours, les rebelles prennent le dessus sur les troupes loyalistes qui se dispersent et le contrôle des principales villes jusqu’à la capitale Damas d’où s’enfuit Bachar el-Assad pour se réfugier en Russie. Selon Didier Billion, « cela révèle la sous-estimation de l’état de déliquescence du régime syrien et son isolement total. (…) Du point de vue géostratégique, (…) la Syrie de Bachar Al-Assad était la ligne d’approvisionnement principale entre l’Iran et le Hezbollah. Celle-ci est désormais rompue ».[13]
Le commandant en chef du commandement des opérations militaires Ahmed Hussein al-Charaa, dont le nom de guerre était Abou Mohammed al-Joulani, ancien émir du HTC et commandant djihadiste, devient président par intérim de la République arabe syrienne le 29 janvier 2025. Entre temps, Israël en profitera « pour opérer plus de 300 bombardements sur des objectifs militaires syriens et pour occuper le versant syrien du mont Hermon » précise le directeur adjoint de l’IRIS, qui ajoute : « La question est désormais l’appréciation de la trajectoire possible des nouveaux responsables de Damas. Leur passé djihadiste est connu, mais leur évolution politique ne l’est pas moins. Incarnant une forme d’islamo-nationalisme, ils ne renieront pas leur appartenance à la mouvance islamiste. Dans le même mouvement, ils sont profondément syriens et leur préoccupation est de reconstruire et de préserver l’unité du pays. Pour ce faire, l’enjeu est de parvenir à mettre en place un régime de type inclusif et de reconstituer de solides relations avec le maximum de pays à l’international ».[14]
Installation d’Israël au Liban et en Syrie
A ce jour, l’État hébreu semble déterminé à poursuivre « le développement d’une profondeur stratégique au Liban et en Syrie »[15], comme l’écrit Thomas Sarthou dans une note de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) du 21 mars 2025. Ainsi l’occupation militaire au Liban et en Syrie viserait à démilitariser tout le territoire libanais situé au sud du fleuve Litani et tout le sud de la Syrie, au pied du plateau du Golan et à la frontière jordanienne. Deux zones tampons en quelque sorte, censées ainsi assurer la sécurité d’Israël. Mais la pression qu’exerce Israël sur le nouvel exécutif libanais et le nouveau régime de Damas passe aussi d’un côté, par la poursuite des assassinats de responsables du Hezbollah ou la menace de frappes si l’aéroport de Beyrouth restait ouvert aux avions venus d’Iran, et de l’autre, par des frappes aériennes sur des bases ou entrepôts de l’armée syrienne au sud du pays. Le « soutien aux minorités, notamment la communauté druze syrienne » située justement au sud, serait aussi un moyen pour Israël de "diviser pour régner", selon Thomas Sarthou qui souligne que « les druzes d’Israël comptent environ 150 000 personnes et jouissent d’une identité reconnue, participant également à l’appareil militaire du pays »[16].
A Gaza, l’offensive par les airs et par la terre continue, alors que les négociations à Doha, la capitale du Qatar, piétinent. En Cisjordanie, l’opération Mur de fer, à l’origine pour démanteler une cellule du Jihad islamique, amène l’armée israélienne et le Shin Bet, le service israélien de sécurité intérieure, à déplacer depuis près de trois mois « plus de 40 000 » réfugiés palestiniens, en particulier d’un camp situé à l’ouest de la ville de Jénine ; suivant toujours le même schéma : raids aériens et incursions au sol. Et pendant ce temps-là, sur le Liban, « les autorités israéliennes ont annoncé, le 11 mars, la tenue de négociations quadripartites avec la France et les États-Unis, débouchant sur la création de trois groupes de travail conjoints : l’un pour traiter des positions israéliennes au Liban, un autre pour les litiges frontaliers, et un dernier pour la question des détenus libanais ».[17]
Des guerres aussi pour l’eau ?
Mais ces conflits territoriaux en cachent peut-être un autre. Thomas Sarthou relevait un point « au lendemain de la chute de Bachar Al-Assad. Le 8 décembre 2024, le gouvernement israélien a annoncé qu’il mettait fin à l’accord de cessez-le-feu signé en 1974 avec les autorités damascènes qui établissait une zone démilitarisée sur les hauteurs du plateau du Golan. Peu de temps après cette annonce, des troupes israéliennes se sont positionnées dans la zone démilitarisée qui surplombe le sud de la Syrie ».[18] Le chercheur en études stratégiques Mohamad Hasan Sweidan avance que « moins d’un mois après la prise de Damas par les forces rebelles et le renversement du gouvernement syrien, les forces d’occupation israéliennes ont lancé une offensive incontestée jusqu’aux abords du barrage Al-Mantara - une source d’eau essentielle pour Deraa et le plus grand barrage de la région, situé dans la campagne occidentale de Quneitra. Les rapports indiquent que les chars et les troupes israéliens ont établi des avant-postes militaires, élevé des talus et imposé des restrictions strictes à la circulation locale, n’autorisant l’accès qu’à des heures précises et prédéterminées ».[19] Les ressources en eau douce sont rares donc précieuses, encore plus dans cette région où le climat est aride et les déserts étendus. Et l’on ne peut que constater que les avancées d’Israël concernent des territoires riches en sources d’eau, que ce soit au Sud-Liban avec notamment le fleuve Litani ou en Syrie avec le mont Hermon et le bassin de Yarmouk avec le barrage d’Al-Wehda et celui déjà cité d’Al-Mantara.
Israël déterminé, divisé et uni
Que veut Israël ? On pourrait penser que l’État hébreux s’éloigne de la solution à deux États préconisée par beaucoup, ou alors sans tout ou partie de la Cisjordanie, et serait même tenté de redessiner des frontières par rapport notamment au Liban et à la Syrie. Question de sécurité et même de survie. Que faire quand des organisations terroristes puissantes et même des États ne veulent qu’une chose : votre éradication ?
Arnaud Peyronnet rappelle qu’« en 2015, l’ancien président israélien, Reuven Rivlin, identifiait quatre "tribus" composant la société israélienne et qui ne se mélangeaient pas : les trois tribus juives (laïcs, religieux-nationalistes et ultra-orthodoxes) et la tribu arabe [représentant 20 % de la population israélienne et très attachée à Israël]. Parmi celles-ci, les tribus des religieux-nationalistes et des ultra-orthodoxes se sont considérablement accrues ces 20 dernières années, au détriment de la tribu des laïcs ».[20] La radicalisation qui s’en suit concerne tant l’ensemble des territoires revendiqués « dont la Cisjordanie dénommée localement Judée et Samarie » ou Judée-Samarie, que les Palestiniens eux-mêmes devenus cibles d’attaques de colons radicalisés.
Pour Denis Bauchard, « cette guerre, la plus longue menée par Israël depuis 1948, se poursuit en violation du droit international, en dépit des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité ou des décisions de la Cour internationale de justice. Elle est prolongée délibérément par le Premier ministre Netanyahou, qui se maintient ainsi au pouvoir malgré une contestation majoritaire dans le pays, y compris celle de l’armée ».[21]
Mais « au final, la société israélienne, bien que très fragmentée, a réussi à maintenir son unité face à des risques existentiels considérés comme imminents »[22] conclut Arnaud Peyronnet.
Il est bien possible que "le 7 octobre" et ses suites aient érigé Israël en citadelle assiégée, risquant de s’isoler. Rétablir des relations avec certains de ses voisins comme le Liban, la Syrie et d’autres pays arabes serait nécessaire en raison des multiples conflits dans lesquels Israël est impliqué, mais le temps est-il venu ? « Il y a un moment pour tout et un temps pour chaque chose sous le ciel : (…) un temps pour tuer et un temps pour guérir, un temps pour saper et un temps pour bâtir, (…) un temps pour déchirer et un temps pour coudre, (…) un temps pour aimer et un temps pour haïr, un temps de guerre et un temps de paix. »[23]
(arrêté à fin mars 2025)
[1] Bauchard, Denis. “Un Moyen-Orient Entre Guerres et Recomposition.” Diplomatie, no. 129, 2024, pp. 36-41. JSTOR
[2] ibid.
[3] ibid.
[4] Goya, Michel. « Victoire par chaos à Gaza. » DSI (Défense et Sécurité Internationale), n° 173, 2024, pp. 56-59. JSTOR
[5] Peyronnet, Arnaud. « Israël face au spectre d’une guerre longue. » Diplomatie, n° 129, 2024, pp. 45-48. JSTOR
[6] Goya, Michel. « Victoire par chaos à Gaza. » DSI (Défense et Sécurité Internationale), n° 173, 2024, pp. 56-59. JSTOR
[7] Peyronnet, Arnaud. « Israël face au spectre d’une guerre longue. » Diplomatie, n° 129, 2024, pp. 45-48. JSTOR
[8] ibid.
[9] Bauchard, Denis. “Un Moyen-Orient Entre Guerres et Recomposition.” Diplomatie, no. 129, 2024, pp. 36-41. JSTOR
[10] Aoun, Sami. “Gaza en flammes ; l’Égypte, la Jordanie et le Liban endurent.” Diplomatie, no. 129, 2024, pp. 64-67. JSTOR
[11] Thomas Sarthou. « Nouveaux visages, mêmes défis ? Analyse de la nomination du gouvernement libanais - IRIS », 14 février 2025
[12] Didier Billion. « Un Moyen-Orient en recomposition politique accélérée - IRIS », 13 janvier 2025
[13] ibid.
[14] ibid.
[15] Thomas Sarthou. « Au Liban et en Syrie, Israël pousse son avantage stratégique par-delà sa frontière - IRIS », 21 mars 2025
[16] ibid.
[17] ibid.
[18] ibid.
[19] Mohamad Hasan Sweidan « La guerre secrète d’Israël contre la Syrie, le Liban et la Jordanie pour l’eau », Site Strategika, Source : reseauinternational.net - 19 janvier 2025
[20] Peyronnet, Arnaud. « Israël face au spectre d’une guerre longue. » Diplomatie, n° 129, 2024, pp. 45-48. JSTOR
[21] Bauchard, Denis. « Un Moyen-Orient Entre Guerres et Recomposition. » Diplomatie, no. 129, 2024, pp. 36-41. JSTOR
[22] Peyronnet, Arnaud. « Israël face au spectre d’une guerre longue. » Diplomatie, n° 129, 2024, pp. 45-48. JSTOR
[23] Ecclésiaste ou Qohéleth, chapitre 3 « Les temps et la durée », versets 1 à 8, Traduction œcuménique de la Bible (TOB) 2010
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18/05/2025
Pas d’ascension sociale sans éducation… et sans travail
L’éducation est considérée comme un droit fondamental, affirmé dès la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 par son article 26 :
« 1. Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite.
2. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. ».
Mais cette notion d’éducation a vu son sens élargi aux besoins éducatifs fondamentaux dans la Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous faisant suite à la conférence mondiale sur l’éducation pour tous organisée en 1990 par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et la Banque mondiale. Déclaration qui « sonnait, selon le Mouvement Les Voies, comme un rappel urgent de cette mission imparfaite, à savoir offrir à chaque enfant les outils nécessaires pour comprendre et transformer le monde. Car l’éducation n’est pas seulement un vecteur de savoirs, elle est le socle sur lequel repose l’avenir des sociétés. C’est elle qui forge les compétences fondamentales, celles qui ouvrent les premières portes, savoir lire, écrire, compter. Mais l’éducation va bien au-delà de ces premiers pas. Elle est le moteur qui aiguise la pensée critique, qui enseigne à coopérer, à résoudre des problèmes complexes, à imaginer des solutions nouvelles. C’est à travers elle que chaque enfant devient progressivement un citoyen capable de participer activement à la vie de la cité, de s’y intégrer, puis d’en être un acteur éclairé et responsable » (article Repenser le système éducatif : lutter contre les inégalités scolaires en France du 7 octobre 2024).
L’article I de cette déclaration, intitulé Répondre aux besoins éducatifs fondamentaux, est ainsi formulé :
« 1. Toute personne - enfant, adolescent ou adulte - doit pouvoir bénéficier d’une formation conçue pour répondre à ses besoins éducatifs fondamentaux. Ces besoins concernent aussi bien les outils d’apprentissage essentiels (lecture, écriture, expression orale, calcul, résolution de problèmes) que les contenus éducatifs fondamentaux (connaissances, aptitudes, valeurs, attitudes) dont l’être humain a besoin pour survivre, pour développer toutes ses facultés, pour vivre et travailler dans la dignité, pour participer pleinement au développement, pour améliorer la qualité de son existence, pour prendre des décisions éclairées et pour continuer à apprendre. Le champ des besoins éducatifs fondamentaux et la manière dont il convient d’y répondre varient selon les pays et les cultures et évoluent inévitablement au fil du temps.
2. En pourvoyant à ces besoins, on confère aux membres de toute société la capacité - ainsi que la responsabilité correspondante - de respecter et faire fructifier leur patrimoine culturel, linguistique et spirituel commun, de promouvoir l’éducation d’autrui, de défendre la cause de la justice sociale, de protéger l’environnement, de se montrer tolérants envers les systèmes sociaux, politiques ou religieux différents du leur, en veillant à ce que les valeurs humanistes communément admises et les droits de l’homme soient sauvegardés, et d’œuvrer pour la paix et la solidarité internationales dans un monde caractérisé par l’interdépendance.
3. Un autre but, non moins fondamental, du développement de l’éducation est la transmission et l’enrichissement des valeurs culturelles et morales communes. C’est en elles que l’individu et la société trouvent leur identité et leur valeur.
4. L’éducation fondamentale n’est pas seulement une fin en soi. Elle est l’assise d’une formation permanente et d’un développement de l’être humain, sur laquelle les pays peuvent édifier de façon systématique d’autres niveaux et d’autres types d’éducation et de formation. »
L’éducation est capitale
Dans un article paru dans la revue Commentaire (2019/4 Numéro 168), l’économiste français Jean Tirole (Prix 2014 de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel) avance qu’« il est de connaissance commune que l’éducation conditionne la réussite de l’individu sur le marché du travail, à court comme à long terme. De façon plus subtile, l’éducation affecte aussi la capacité de l’individu à réapprendre tout au long de la vie (…). L’éducation conditionne aussi (ce que les économistes appellent prosaïquement) le marché du mariage. La tendance déjà forte des individus à se marier avec quelqu’un du même niveau éducatif s’est accentuée ces dernières années (…) ».
L’éducation apparaît ainsi comme le moyen principal de s’élever dans l’échelle sociale, d’améliorer sa position sociale. Cet ascenseur social ou cette mobilité sociale (ascendante) n’est cependant possible que si l’égalité des chances est garantie. Comme l’écrit encore Jean Tirole, « son existence protège les citoyens contre le risque de ne pouvoir accéder à une bonne éducation et des premiers emplois attractifs parce que l’on naît dans une famille démunie, peu instruite ou peu informée de la qualité des différentes filières et des bénéfices de la réussite scolaire ». Et de fait par exemple, l’accès général à l’enseignement supérieur a permis aux enfants d’ouvriers et d’employés de parvenir à des situations sociales plus favorables que celles de leurs parents.
L’éducation est un capital
Un autre économiste, l’Américain Gary Stanley Becker dans son ouvrage Human Capital (Human Capital, A Theoretical and Empirical Analysis, Columbia University Press for the National Bureau of Economic Research, New York, 1964), définit le capital humain comme « l’ensemble des capacités productives qu’un individu acquiert par accumulation de connaissances générales ou spécifiques, de savoir-faire, etc. ». Et ajoute Stéphanie Fraisse d’Olimpio, professeure agrégée de sciences économiques et sociales et autrice de l’article sur Les fondements de la théorie du capital humain sur le site SES-ENS de l’École Normale Supérieure de Lyon, selon Becker « chaque travailleur a un capital propre, qui lui vient de ses dons personnels, innés, et de sa formation. Son stock de capital immatériel peut s’accumuler ou s’user. Il augmente quand il investit, ce qui détermine les différences de productivité, et, par hypothèse, de revenu ».
Paul Baravid, agrégé en économie gestion, professeur de faculté, écrit dans l’ouvrage collectif La culture générale en livres - Du XVIe siècle à nos jours, sous la direction de Jean-Claude Bibas et paru en 2010 aux éditions Ellipses : « (…) Gary Becker développe l’idée que l’éducation augmente la productivité de celui qui la reçoit. Cette hypothèse est novatrice et même révolutionnaire par rapport au courant dominant de l’analyse économique puisqu’elle entraîne la conclusion que l’on peut considérer l’éducation comme un investissement dans l’homme ; ce dernier est donc accepté comme le support possible d’un capital. (…) Il découle directement de cette observation qu’en tant qu’élément de la richesse d’une nation, et source de revenus futurs, les connaissances, qualifications et aptitudes dont fait preuve la population d’une économie sont un capital pour celle-ci au même titre que peuvent l’être les ressources naturelles, les machines ou les équipements ».
Un investissement dans une économie de la connaissance
L’éducation donc comme investissement dans l’acquisition de savoirs, savoir-faire et savoir-être, comme condition d’accroissement de son potentiel productif et d’accès à de meilleurs emplois, et donc comme source de revenus futurs plus élevés, revenus vus comme le produit ou « le rendement du capital humain, la rémunération de l’investissement dans l’éducation » comme l’exprime Stéphanie Fraisse d’Olympio. Ainsi « un individu peut consentir à retarder son entrée sur le marché du travail, et à changer son arbitrage travail/loisirs, parce que le salaire qu’il attend ensuite est supérieur à celui qu’il aurait eu sans formation ». Il s’agit d’un pur calcul coût-avantage, de motivations économiques, d’optimisation, de choix ou d’options rationnels, tel un homo œconomicus selon l’expression du philosophe et économiste anglais John Stuart Mill. Et c’est cette approche, pour « avoir étendu le domaine de l’analyse microéconomique à un grand nombre de comportements humains », qui a valu à Gary Becker en 1992 le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel.
Déjà au XIXe siècle, un économiste cette fois britannique, Alfred Marshall, se disait « très favorable à la généralisation de la formation afin de réduire le nombre d’ouvriers non qualifiés. Il pensait que seule la formation pouvait réellement améliorer leur bien-être par de meilleurs salaires et par une valorisation de leur position sociale » (Wikibéral). Il avait aussi cette formule : « la connaissance est notre moyen de production le plus puissant ». Mais n’oublions pas que, pour Gary Becker notamment, l’acquisition du capital humain pour sa part éducative, passe d’abord par la famille avec la transmission de savoirs aux enfants et la contribution au développement de leurs capacités, puis par l’école et l’enseignement supérieur où s’acquièrent connaissances et compétences, puis par l’expérience professionnelle et la formation continue qui contribuent à élever directement ce capital humain.
Un investissement dès la petite enfance pour l’égalité des chances
« (…) Nous savons (en particulier par les travaux d’Heckman et ses coauteurs) que l’investissement parental joue un rôle primordial dans la réussite scolaire et sociale. » Ce qu’affirme ici Jean Tirole dans l’article précité et qui est fondamental, repose sur les conclusions de l’économiste américain James Joseph Heckman et le chercheur Stefano Mosso ("The economics of human development and social mobility", Annual Review of Economics, Annual Reviews, vol. 6(1), 2014, p. 689-733). James Heckman, « spécialiste de l’économie du développement humain, a remporté le Prix Nobel en 2000 en démontrant les gains économiques engendrés par un investissement massif en petite enfance. Ses travaux ont montré que ce sont les investissements auprès des enfants défavorisés de moins de cinq ans et de leur famille qui ont le taux de rendement le plus élevé, argument financier politiquement très porteur en faveur des interventions précoces. Les travaux de Heckman sont venus étayer l’idée que pour avoir une population en bonne santé physique et psychique, en capacité d’intégrer le marché du travail, moins dépendante des minima sociaux et des aides publiques, alors il fallait mettre le paquet sur les très jeunes enfants, surtout ceux des familles les plus précaires (…) » (site de l’association Papoto, Parentalité Pour Tous).
Et puis, peut-être que les idées simples sont parfois les meilleures, notamment celle-ci exprimée par nombre de chercheurs : le cerveau est plastique, plus on l’exerce, plus il est performant. Ce simple constat scientifique clôt toute discussion oiseuse sur l’égalité des chances. Pour les enfants qui n’ont pas eu la chance de naître dans un milieu stimulant ou pouvant (s’)offrir des "stimulants" parascolaires ou extrascolaires, l’école a le devoir d’exercer intensément leurs cerveaux afin de rattraper cette inégalité, ce qui demande de la part des professeurs une volonté, une implication et un travail sans faille au quotidien. L’exigence et l’excellence sont pour tous et pour toutes les filières, générale, technique ou professionnelle. Et il n’y a aucune liberté pédagogique qui vaille et qui devrait tenir face au droit fondamental de tous les enfants d’être parfaitement instruits et éduqués. Ils ne sont pas des cobayes sur lesquels il serait possible de tenter des expériences ou des innovations pédagogiques qui par nature n’ont pas encore fait leurs preuves.
L’éducation qui est devenue un droit, est une longue histoire au cours de laquelle on aura assisté à une montée du niveau d’études à chaque génération et, jusqu’à récemment, à une ascension sociale avec le développement d’emplois toujours plus qualifiés. Cette ascension sociale est moins collective aujourd’hui et souvent le résultat individuel d’un parcours scolaire sélectif, réussi et validé par un ou des diplômes reconnus offrant des débouchés, de réelles perspectives professionnelles. Ce qui donnerait raison à Jérôme Lecat, directeur général de Scality, qui affirme que « La condition de l’ascenseur social, c’est le travail ».
P.S. (sans jeu de mots) : dans un numéro du Nouvel Observateur qui débute par une pub pour une banque, pour poursuivre par des marques de smartphones haut de gamme, des grandes écoles de commerce, le groupe de cosmétiques Coty, pour finir par les annonces habituelles de propriétés et châteaux hors de prix, sans oublier la rubrique titrée "Éviter la hausse d’impôt", voici qu’une enseignante, sur fond d’un documentaire sur la pauvreté, s’essaye avec humour (?) à faire d’une "trousse de marque" très classe le "marqueur" d’une lutte des classes en classe, l’injustice reposant sur l’héritage, la rente, et le ridicule sur la vanité, le snobisme... Imaginons un documentaire consacré à la réussite par leur travail de créateurs, d’entrepreneurs..., qui leur permet de s’offrir des produits et services de qualité souvent plus chers. Imaginons que l’enseignante s’interroge sur l’égalité des chances qu’elle est censée assurer pour faire réussir tous ses élèves. Imaginons qu’elle se demande pourquoi ce sont les enfants de cadres supérieurs et... d’enseignants qui réussissent le mieux à l’école !
P.S. 2 : dans un article de 1968 (!), intitulé malicieusement Crime et châtiment, l’économiste américain Gary Becker cité ci-dessus, « examine les motivations économiques des délinquants et avance que les comportements criminels peuvent être considérés comme des options rationnelles, en l’absence de la certitude d’un châtiment inévitable et sévère [je souligne] » (La culture générale en livres, Paul Baravid, éditions Ellipses, p. 925). A méditer après des décennies durant lesquelles des influents ont cherché à déresponsabiliser ou justifier, et considéré que la sanction ou la punition ne faisait pas partie de l’éducation, avec les résultats que l’on sait, notamment dans les familles ou à l’école. Une peine doit être inéluctable et immédiate, une peine doit être également pénible et pas seulement une privation de liberté d’aller et venir (somme toute peu éprouvante pour certains en milieu carcéral et ne parlons pas de la "détention à domicile sous surveillance électronique" dont même la formulation prête à sourire). Ce n’est qu’à ces conditions que la peine sera éducative avec évidemment toutes les mesures favorisant la réinsertion et prévenant la récidive.
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