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14/02/2014

Du libre choix en démocratie

«(...) Il faut, à l'évidence, que les questions européennes soient sérieusement débattues, tant elles dominent l'avenir de chacune des nations d'Europe. Laisser se poursuivre le face-à-face stérile entre les inconditionnellement "pour" et les tout aussi inconditionnellement "contre" est le meilleur moyen pour ne pas progresser. Seul le doute méthodique est constructif, surtout lorsque rien n'est encore joué» écrivait Jean-Paul Fitoussi.

Celui-ci était alors (en 2005) président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), professeur à l'Institut d'études politiques de Paris et éditorialiste au Monde. Il s'exprimait dans un entretien avec Jean-Claude Guillebaud intitulé La politique de l'impuissance chez Arléa. Le doute méthodique dont il parlait est celui de Descartes qui fonde la méthode cartésienne, ce doute «(...) qui laisse à l'esprit sa liberté et son initiative» disait Claude Bernard.

Et cet économiste de renom défendait sa liberté de penser. Il dénonçait «L'effort de communication» qui «consista» sous prétexte de mondialisation «à convaincre les populations qu'il n'y avait pas d'alternative», pas de solution de remplacement. «"Le cercle de la raison" délimitait un seul chemin, une seule politique.» Ce qui revient à «(...) empêcher toute alternance réelle (c'est-à-dire l'alternance des idées, non celle des hommes)».

Et s'il n'y a pas d'alternance réelle, il n'y a pas de démocratie réelle. Si nous n'avons pas le choix, nous ne sommes pas libres, mais prisonniers de la "pensée unique", ce «phénomène» qui «est le fruit d'une classe dirigeante, hautement qualifiée, dont il sert les intérêts». Et, poursuivait Jean-Paul Fitoussi qui se faisait grave : «(...) sur le long terme, on sait que l'absence de démocratie ne peut qu'aboutir à la destruction de l'Europe».

Il n'y a pas disait-il «qu'une seule réponse aux problèmes que la société traverse». L'on pourrait ajouter qu'il ne faut pas croire non plus qu'il n'y a que de "moins mauvaises solutions" et que "De deux maux, il faut choisir le moindre". Il faut se méfier des idées toutes faites, souvent fausses, et examiner avec soin "les remèdes à nos maux" qui sont préconisés, tant l'on constate que fréquemment "Le remède est pire que le mal".

Sortir de ce cercle infernal, tel est le défi. Et l'invention de solutions nouvelles, alternatives - "laissant le choix" -, ne pourra venir que d'esprits libres, ouverts. Loin de l'opinion ou du raisonnement systématique, loin du refus ou du soutien systématique, il y a le doute qui interroge les faits, explore tous les possibles et ouvre «l'espace des choix», lieu du débat démocratique où le citoyen doit "Avoir son mot à dire" et "le dernier mot".

14/01/2014

La démocratie : une oligarchie masquée ?

Au XIXe siècle, Tocqueville mettait en garde contre un péril inhérent à la démocratie (pour lui, démocratie chrétienne) : «le despotisme de la majorité». Pour éviter cet abus de pouvoir, Le Petit Robert précise que cet historien et homme politique français pensait qu'«au maintien de la liberté, il faut donc deux garanties essentielles, la liberté de la presse et l'indépendance du pouvoir judiciaire». Ces garanties sont-elles remplies ?

A première vue, les "contre-pouvoirs" que sont les médias et la justice semblent faire leur travail dans notre démocratie. Contrebalançant les autres pouvoirs (exécutif, législatif, mais aussi économique et financier), le quatrième pouvoir (la presse, les médias) et le pouvoir judiciaire paraissent jouir d'une liberté d'action inédite dans l'histoire, avoir les mains libres comme jamais. Et pourtant un doute subsiste malgré "l'évidence".

D'où vient donc cette impression assez générale qu'on nous cache des choses, qu'il y a des "intouchables", que "la vérité est ailleurs" ? Même depuis la "fin" des affaires, la méfiance ne s'est toujours pas dissipée. Peut-être parce que d'aucuns ont dit que la justice n'était "pas un pouvoir mais une autorité", d'autres parlé de "reprise en main" de la justice ; peut-être à cause de la concentration des médias entre quelques mains.

Ne serait-ce d'ailleurs pas les mêmes mains ou peu s'en faut ? celles d'un pouvoir politico-économique, d'une élite puissante bénéficiant seule d'une véritable liberté d'expression dans les médias et capable de faire obstruction à la justice, d'échapper aux poursuites ou de les faire cesser. Si c'était le cas, nous serions alors dans une oligarchie, à mi-chemin de la démocratie et de la monarchie, une sorte en fait d'aristocratie.

Ainsi, si le despotisme est une "forme de gouvernement dans lequel tous les pouvoirs sont réunis dans les mains d'un seul", l'oligarchie elle est étymologiquement le "commandement de quelques-uns". "Un régime politique dans lequel la souveraineté appartient à un petit groupe de personnes, à une classe restreinte et privilégiée" ; "où l'autorité est entre les mains de quelques personnes ou de quelques familles puissantes".

Tocqueville craignait le despotisme de la majorité dans le cadre d'une démocratie, mais ne devrait-on pas craindre le despotisme d'une minorité dans le cadre d'une oligarchie qui ne dirait pas son nom ? Notre démocratie se rapprocherait alors d'un régime semi-autoritaire et aurait ainsi réussi l'impossible : avoir changé de forme tout en gardant son nom ou avoir masqué depuis toujours sa véritable nature sous un faux nom.

12/11/2013

Une vie sous influence

II faut lire le Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens aux Presses universitaires de Grenoble, de deux chercheurs en psychologie sociale et professeurs des universités, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois. Pour une et une seule raison : éviter d'être manipulés en prenant connaissance du «principe de ces stratégies» manipulatrices mises en œuvre pour nous faire penser et agir dans le sens souhaité.

Premier conseil : il convient «(...) d'apprendre à revenir sur une décision. C'est plus difficile qu'on ne l'imagine, reconnaissent ces auteurs, les normes et les idéologies ambiantes nous incitant plutôt à être consistants, fiables, fidèles». Mais quand la situation évolue, "rester sur sa décision" est le meilleur moyen de se laisser piéger. S'en tenir à "l'état de choses" et à son choix initial, c'est s'exposer à être lié définitivement.

Deuxième conseil qui découle du premier : «(...) il faut savoir considérer deux décisions successives comme indépendantes». En cas de nouvelle décision à prendre, envisager toutes les possibilités permet de réévaluer la pertinence de chacune en fonction des circonstances. En clair, il ne doit pas y avoir de précédent qui engage. Tout cas est unique. Il faut rester libre de ses décisions à chaque fois et ne pas vouloir être invariable.

Toutefois, troisième conseil : «Ne surestimez pas votre liberté (...). Les manipulations (...) ne sont efficaces que lorsqu'elles sont pratiquées dans un contexte de liberté». C'est le «sentiment de liberté» qui persuade l'individu qu'il "mène la barque" alors qu'il est "mené par le bout du nez", qu'il influe sur sa vie alors qu'il est à la merci des influences. Napoléon disait : «La bonne politique est de faire croire aux peuples qu'ils sont libres».

Et puis ajoutent ces chercheurs : «Quelle signification peut avoir un tel sentiment de liberté lorsqu'il s'agit (...) de faire un choix que tout le monde fait (...) ?». «Pressions», «normes de comportement», «injonctions implicites ou explicites» sont en fait à l'origine d'un état de «soumission librement consentie». D'où leur recommandation de ne parler de liberté que lors de la prise de grandes décisions pouvant modifier l'orientation de sa vie.

En fait, ils constatent par nombre de travaux que l'individu convenable, conformiste (tout en s'en défendant), pénétré de son libre arbitre, se voulant cohérent, certain d'être le seul auteur de son destin, «est incontestablement le plus manipulable». Avant de conclure : «Que ce soit, aussi, cet individu-là qui ait le plus de chance de réussir dans la vie professionnelle et sociale dans nos sociétés démocratiques a de quoi faire réfléchir».