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28/03/2014

"L'art de plaire est l'art de tromper" (Vauvenargues)

Chercher à plaire est sans doute la grande affaire de la plupart des personnes physiques ou morales. La séduction est l'arme la plus employée pour conquérir le pouvoir, un marché, une clientèle, les cœurs, l'estime, une femme ou un homme. «La volonté de séduire, c'est-à-dire de dominer» écrivait Colette, de subjuguer les esprits. Et ajoutait Roger Caillois : «Quand il s'agit d'un art du langage, séduire c'est à la fin persuader», en douceur.

«Ce que Lionel Bellenger appelle la "persuasion-séduction", rappelle Philippe Breton dans son livre La Parole manipulée aux éditions La Découverte, est à l'œuvre "tant dans les relations interpersonnelles que dans la communication de masse, la publicité ou la politique" Au point que «Le phénomène est devenu si courant, (...) que nous finissons par ne plus le voir (...)». Son omniprésence le rend comme invisible, imperceptible.

Mais «Là où, dans les relations humaines, séduire relève de sa propre finalité, son usage stratégique dans l'action de convaincre relève systématiquement de la tromperie. Ce n'est plus plaire pour plaire, c'est plaire pour vendre, plaire pour emporter les suffrages de l'électeur, plaire pour commander. Il s'agit bien d'une stratégie de détour». Familièrement, on dirait "draguer", "faire du baratin", ou faire sa cour pour avoir une cour.

Chercher la faveur de publics divers pour se retrouver en position d'accorder des faveurs, voilà la logique de bien des politiques. Philippe Breton indique que «Bellenger insiste sur le fait que le séducteur s'adapte aux circonstances, c'est-à-dire à l'auditoire : "Le séducteur est celui qui fait ou dit au moment voulu ce qu'il faut : il fait preuve d'une totale obéissance à l'occasion... Le séducteur ressemble à tout ce qu'il approche"».

«En politique, le prototype du séducteur est le démagogue (...).» : «celui qui veut convaincre qu'il est le bon candidat ou le bon titulaire du poste qu'il occupe. Pour cela, il va faire croire à l'auditoire, par différentes stratégies, qu'il pense comme lui. Mieux : s'adressant à plusieurs auditoires, il va faire croire à chacun d'eux qu'il pense comme eux. (...) Il n'affirme pas son point de vue propre, il se coule dans le point de vue d'autrui.»

Mais à dire ce que les gens veulent entendre, "à flatter les aspirations à la facilité ou les préjugés du plus grand nombre pour accroître sa popularité, pour obtenir ou conserver le pouvoir", on finit VRP "aux mains" d'une clientèle qui "a toujours raison". De même qu'à chercher le soutien des influents, on finit "sous influence". «L'esclave n'a qu'un maître. L'ambitieux en a autant qu'il y a de gens utiles à sa fortune» écrivait La Bruyère.

15/11/2013

Donner un sens ou faire de l'effet

«Si j'étais chargé de gouverner, je commencerais par rétablir le sens des mots» aurait dit Confucius, ce lettré et philosophe chinois ayant vécu cinq siècles avant Jésus-Christ. Traduction : la méconnaissance du sens de beaucoup de mots ou leur mauvaise interprétation rendent les peuples ingouvernables. N'ayant pas la même définition des termes employés, les habitants d'un pays, comme sa politique, "partent dans tous les sens".

Comment en effet conduire, diriger des hommes, si l'on ne parvient plus à comprendre, à "percevoir le sens" d'un texte, d'un discours, d'une explication, d'une allusion... ? Comment faire si l'on n'arrive plus à "s'entendre" dans tous les sens du mot : "se comprendre", mais aussi "se mettre d'accord" et "avoir de bons rapports" ? Car l'incompréhension conduit à l'inacceptation. La peur de l'inconnu est mère de tous les rejets.

Ne parlant plus la même langue, des compatriotes peuvent se retrouver comme entre inconnus, et ne connaissant que des bribes de leur langue, comme en pays inconnu, en terre inconnue. Etrangers les uns aux autres, mais aussi à leur environnement. Incapables d'entrer en communication, mais aussi de saisir le complexe, de «pénétrer dans tous les détails sans perdre de vue l'ensemble» comme écrivait Anatole France.

Sans les mots ou les bons mots pour les dire ou les comprendre, les idées s'égarent. A "chercher ses mots", on se met à "perdre le fil de ses idées", à "sauter d'une idée à l'autre". Et à comprendre ou à "dire un mot pour un autre", on en vient à "se faire des idées", à "avoir des mots avec" ses interlocuteurs. Et puis on ne parvient plus à "avoir de la suite dans les idées", on ne tient plus à ses idées, mais on en change à la demande.

Arrive-t-on d'ailleurs encore à avoir une idée par soi-même ? une idée originale : ni "empruntée" ni "soufflée". Certes, les avis, opinions, sentiments ne manquent pas, mais combien sont-ils sensés ? Contresens et faux sens sont courants. Même le bon sens fait défaut. On préfère se fier à son sixième sens, à son instinct. La sensation supplante la signification. On est "avide de sensations nouvelles", on "aime les sensations fortes".

Le sensationnel fait la une. L'on vise à enflammer les sens. L'insignifiant et le non-sens gagnent. L'insensé est encensé. Et puis l'important est de "faire sensation" pour l'emporter. Les recherches d'un sens - d'une direction et d'une raison - semblent abandonnées. Aurait-on renoncé à gouverner pour la propagande et sa langue de bois où «Nous ne parlons pas pour dire quelque chose, mais pour obtenir un certain effet» ? Dixit Goebbels.

15/02/2013

Au pied du mur ou dans le mur ?

Nous ne pouvons pas dire que nous n'avons pas été avertis. De partout nous sont arrivés des propos alarmants. Il y a seize ans déjà, Françoise Giroud déclarait au Monde : «C'est la période la plus noire que j'ai connue, à cause de cette désespérance. Certes, j'ai vécu la guerre, les années noires de 1940-1945. Mais on espérait, on se battait. Aujourd'hui les gens se sentent impuissants, et, probablement, ils le sont».

«Plus personne ne contrôle plus rien, confiait en 2003 au Point le ministre-philosophe Luc Ferry. On est dépossédé. La marge de manœuvre et d'efficacité est étroite (...).» Et il s'interrogeait : «Est-ce qu'on est là pour décorer ? Est-ce que la politique existe ou bien disparaît-elle au profit de l'économie mondialisée et de la communication ?». Il se disait pourtant «confiant quant aux chances de limiter le contrecoup social de la mondialisation».

Limiter la casse, voilà à quoi était réduit le gouvernement. François Fillon, ministre alors des affaires sociales..., ne disait pas autre chose à un «Grand Jury RTL-"Le Monde"-LCI» : «(…) On va être placés devant des situations très difficiles en matière d'emploi dans les années qui viennent parce que l'élargissement de l'Union européenne, la montée en puissance de nouveaux pays industriels vont provoquer des délocalisations en cascade».

Mais, ajoutait-il, «nous devons éviter que le rythme de ces délocalisations soit incompatible avec la capacité de réaction de l'économie française». Comment ? Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, en parlait aux 4 Vérités sur France 2 : «On a un pouvoir de créer, disons, les conditions pour que les acteurs économiques aient envie d'entreprendre et (...) créent les conditions de cette croissance».

Quel pouvoir !? La croissance n'était pas au rendez-vous, le déficit budgétaire et la dette se creusaient. Et Jacques Attali dans L'Express annonçait avant fin 2003 un plan de rigueur, «ce qui ramènera notre puissance et notre rayonnement à sa triste mesure. Il s'ensuivra une accélération de l'augmentation du chômage : les plans de licenciement d'aujourd'hui ne sont rien à côté de ceux qui se préparent». Nous étions au pied du mur.

Au stade où, comme le soulignait Patrick Devedjan, ministre délégué aux libertés locales, «L'important, c'est de maintenir la cohésion sociale». Françoise Giroud s'exprimait encore ainsi : «On a envie de dire : arrêtons-nous cinq minutes, réfléchissons. Mais est-ce que les gens ont encore la faculté de réfléchir ? (...) Je ne crois pas au progrès moral, mais je crois au progrès social, et nous sommes en pleine régression».