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30/08/2013

"Remplacer le besoin par l'envie"

«Travailler plus dur pour moins d'argent : bienvenue dans le nouveau monde de l'économie» titrait en une le magazine Newsweek en 2004. Le directeur de la rédaction de L'Expansion reprenait cette formule à son compte dans l'éditorial de son numéro de septembre de la même année. Etait ainsi résumée à ses yeux la situation des pays occidentaux - en particulier européens - confrontés à la concurrence de plus en plus vive des pays dits émergents.

Pour lui - et son opinion reflétait sans doute celle de la plupart des dirigeants économiques et politiques - cela ne pouvait plus durer. Le temps des réveils douloureux était venu. Les Européens n'avaient plus le choix et devaient se préparer «à remettre en cause leurs acquis sociaux et à modifier leur rapport au travail pour rétablir leur compétitivité». Devant la menace des délocalisations, la résignation des salariés lui paraissait même acquise.

Il n'hésitait donc pas à pronostiquer «la disparition inéluctable des trente-cinq heures» en France. Car disait-il : «En économie ouverte, le principe de réalité finit toujours par l'emporter». Michel Camdessus, ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI) et conseiller du président de la République (Nicolas Sarkozy) sur les questions de développement, ne devait pas être loin de penser la même chose, lui qui venait de remettre un rapport alarmant.

Les freins à la croissance (son titre) dressait le constat d'une France bridée dans ses élans et vivant au-dessus de ses moyens. Pointant du doigt le «déficit de travail» et I'«hypertrophie de la sphère publique», Michel Camdessus et une vingtaine d'experts en appelaient à un sursaut, sans lequel dans les dix ans à venir (c'est-à-dire maintenant), la France pourrait être distancée par les autres grands pays industrialisés de manière irréversible.

La solution préconisée tenait en deux mots et rejoignait la formule du début : «travailler plus». Cette quantité de travail supplémentaire à fournir se traduisant par l’allongement à la fois de la durée de la vie active et du temps de travail. L'ordonnance était sévère et faisait suite à des diagnostics catastrophistes de plus en plus nombreux, nous pressant de nous adapter à ce nouveau monde. Mais celui-ci est-il meilleur ? Rien n'est moins sûr.

Et qu'importe semble-t-il pour nos adeptes de la «réhabilitation du travail». La qualité importe moins que le nombre. Pourtant, c'est peut-être de par sa médiocre qualité que le travail perd de sa valeur. Ce sont les métiers malsains, angoissants, dénués de sens, n'assurant même pas parfois la subsistance, qui réduisent le travail à un besoin. Le réhabiliter demanderait donc d'abord de le revaloriser pour «remplacer le besoin par l'envie»*.

* Balavoine

 

23/08/2013

On n'a pas fini de rêver

Fini de rêver, c'est la rentrée. Pourtant, il flotte comme un air de vacances prolongées. L'été se veut indien. Le soleil, contraint et forcé, voit son horizon se raccourcir, mais les peaux bronzées ne se font pas à l'idée de blanchir. Les esprits sont encore alanguis par la quiétude et les nez emplis des senteurs estivales. Les oreilles croient toujours entendre les bruissements de la nature qui s'endormait à la nuit tombée et les yeux demeurent éblouis par cette lumière qui ruisselait de ciels d'azur. Que ces heures furent douces et délicieuses.

Hier encore, nous nous promenions sur des rivages enchanteurs, nous nous prélassions au bord de l'eau, nous déambulions dans des ruelles de villages, nous marchions à l'ombre de forêts profondes, nous gravissions des pentes escarpées qui s'ouvraient sur de somptueux panoramas. Les vagues venant mourir sur les rochers, la mer frissonnant sous le vent, les glaciers s'effondrant des sommets argentés, les torrents dévalant les prairies étagées, les lacs se reposant au creux de leur écrin, tout est déjà loin. Peut-être les reverrons-nous l'année prochaine, si tout va bien. Toute une année à attendre, à ne plus voir que le mur d'en face et le passage dans la rue, à se résigner au vacarme de la ville et aux gaz d'échappement...

Bien sûr, il y a le rêve, celui que l'on fait éveillé, dont on se souvient et qui fonde nos projets. Il nous fait espérer à une autre vie. Celle qui nous permettra d'être toujours en vacances. Ah ! si je n'avais pas à "gagner ma vie", nous disons-nous en ces périodes de reprise. Plus d'horaires, plus de contraintes. Le choix de faire ce que l'on veut. Du temps pour lire, écrire, penser, pour visiter des expositions, assister à des conférences, aller au théâtre, à l'opéra, au cinéma, écouter de la musique, reprendre des études, s'occuper de ses enfants ou de ses petits-enfants, s'engager dans des associations, s'adonner à des loisirs, bâtir une maison, cultiver son jardin... Et là, comme devant ces paysages de vacances qu'on ne se lasse pas d'admirer, regarder passer le temps loin des laideurs, des puanteurs et des rumeurs du monde. 

Mais fini de rêver, c'est la rentrée. Heureusement, il y a l'espoir de brumes évanescentes et de feuillages fauves, de neiges immaculées et de sombres sapins, de pluies fines et de rosées légères, de fleurs éphémères et de verts tendres. Heureusement, il y a l'espoir d'un nouvel été. Heureusement, il y a la vie et cette envie de continuer. On n'a pas fini de rêver.

 

16/07/2013

Science-fiction ?

Tout ce qui n'est pas établi sur des bases fermes, est facile à ébranler. Sur quoi sont établies notre civilisation et notre définition de l'homme ? La civilisation, d'après le dictionnaire, est l'ensemble des caractères communs aux vastes sociétés considérées comme avancées ou l'ensemble des acquisitions des sociétés humaines (opposé à nature, barbarie). «Tout ce que l'homme a (...) ajouté à l'Homme» disait Jean Rostand.

Quant à l'homme, ses principaux caractères spéciaux sont la station verticale, la différenciation fonctionnelle des mains et des pieds, la masse plus importante du cerveau, le langage articulé, l'intelligence développée, en particulier la faculté d'abstraction et de généralisation. Ajoutons la faculté d'adaptation : l’"aptitude à modifier sa structure ou son comportement pour répondre harmonieusement à des situations nouvelles".

Cette faculté-là, non spécifique à l'espèce humaine, est particulièrement recherchée dans un monde en constante et rapide évolution. Mais jusqu'où est-on prêt à aller pour limiter le nombre des récalcitrants, des "psychorigides" et des inadaptés (sans parler des inaptes et des malades mentaux) ? La difficulté de rééduquer les asociaux, les exclus, les marginaux pourrait-elle nous amener à des mesures plus efficaces en amont ?

La science permettrait-elle un jour d'exercer des "pressions de sélection" pour favoriser la mutation des individus et les rendre adaptables aux mutations de la société ? Et les progrès notamment en psychologie sociale et dans la connaissance du cerveau, accouplés aux progrès de la génétique, des biotechnologies et des nanotechnologies, pourraient-ils donner naissance à un homme nouveau, parfaitement adapté et discipliné ?

Mais cet homme nouveau - sélectionné, amélioré, conditionné, manipulé... - serait-il encore un homme ? Ou aurait-il perdu, comme de toute évidence le libéralisme, son visage humain ? Agissant plus par réflexe que par réflexion, diverti par les "usines à rêves", stimulé ou apaisé c'est selon par les psychotropes, préférant "ne pas savoir"..., il serait le membre idéal d'une société idéale, sans idéal, où régnerait le calme social et politique.

Une société où il serait ainsi possible - peut-on l'imaginer ? - de commander et contrôler à la perfection les processus sociaux, politiques, économiques pour le plus grand "bonheur" de tous, est-ce un rêve ou un cauchemar ? Est-ce la civilisation ou une forme de barbarie, une seconde nature contraire à la nature humaine et à «une existence conforme à la dignité humaine», pour reprendre la Déclaration des droits de l'homme ?