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26/11/2013

D'éternels ados bien malléables

Dans Pensées d'un philosophe sous Prozac aux Éditions Milan, Frédéric Schiffter raconte qu'au temps de la civilisation romaine, «pour distinguer le maître qui instruit du maître qui tyrannise ou endoctrine, on appelait le premier magister et le second dominus. Sachant avec quel naturel un jeune esprit pouvait se laisser aller aux comportements les plus barbares de la plèbe, et, aussi, avec quel naturel la plèbe pouvait servir un dominus,

«on s'empressait de confier les enfants à un magister afin que, mettant son savoir à leur service, il les aide à devenir des individus singuliers et autonomes». L'école d'aujourd'hui a-t-elle toujours cette ambition ? Ou sort-il de ses murs des êtres "sur le même moule" et "sous le joug", prêts sans restriction à suivre l'opinion dominante et à servir les positions dominantes, à vivre sous la domination de doctrinaires et d'impératifs catégoriques ?

Etienne de La Boétie s'interrogeait au XVIe siècle dans son Discours de la servitude volontaire "sur la complaisance des peuples vis-à-vis de leurs tyrans". Une complaisance qu'on peut étendre à tout ce qui peut être tyrannique. Et Jean-Jacques Rousseau au XVIIIe siècle constatait dans Du contrat social, la "déchéance de l'homme naturel" : «L'homme est né libre, et partout il est dans les fers». Des fers qu'il se met lui-même parfois.

Comment expliquer cette indulgence excessive, cette servilité, cette complicité même de certains envers ce "qui contraint impérieusement et péniblement" et, dit-on, "à quoi on ne peut se dérober" ? Comment comprendre que des hommes soient sans réaction contre ce qui les enchaîne, les tient captifs, en esclavage ? Sinon par le fait qu'ils s'y sentent à l'abri et qu'ils s'y retrouvent, tout à la jouissance de leur confort matériel et moral.

Il y a bien sûr la peur de perdre ce qu'ils possèdent ou ce dont ils disposent. Il y a aussi qu'ils aiment trop leur tranquillité. Cette façon de vivre, à la longue, ils s'y font. Et puis un chemin balisé a quelque chose de sécurisant. Il est plus confortable pour eux de penser et faire comme tout le monde. Et leur paresse intellectuelle sous la devise "Ne pas se compliquer la vie" fait le reste, de même que leur maintien dans un état d'hébétude.

Car leur «désintérêt (...) pour le loisir studieux» écrit Schiffter, n'a d'égal que «leur obsession de la fête, leur boulimie de stupéfiants, leur enthousiasme pour les grandes messes du rock, de la techno et du sport, leur goût pour les distractions audiovisuelles, leur fascination à l'égard de la technologie de pointe», qui «témoignent à l'envi de la puérilisation de leur intelligence» et de «la régression à l'âge adolescent de l'ensemble de la société».

22/11/2013

Fan... Fana... Fanatique... Fanatisme... Barbarie

Dans un monde sans cesse plus brutal, la barbarie toujours guette. Obnubilé par ses conquêtes du pouvoir, du succès, d'un droit, du bonheur..., sans parler de ses conquêtes amoureuses, l'homme est survolté et de plus en plus agressif. Droit comme un i, plutôt que de se serrer les coudes, il joue des coudes pour avancer. "Pousse-toi de là que je m'y mette", tel semble être le message permanent qui émane de lui.

Emporté - à la fois entraîné avec force, rapidité et prompt aux mouvements de colère -, l'homme ne maîtrise plus rien et ne se maîtrise plus ; ceci expliquant sans doute cela : "II va comme on le pousse", mais "Faut pas pousser !" tout de même. Encouragé toutefois par ce monde grossier, l'homme mal dégrossi n'a pas de mal à retrouver ses instincts ancestraux, archaïques, à faire se réveiller l'animal qui sommeille en lui.

Hugo pensait que «La création est une ascension perpétuelle, de la brute vers l'homme, de l'homme vers Dieu». Vivrions-nous une régression ? La rivalité et l'émulation qui fondent notre société, renvoyant à ce qu'il y a de plus primitif chez l'homme, de plus bestial. La bête immonde tapie en lui ne demandant qu'à ressurgir. D'autant que l'obéissance à la règle, à la loi morale d'une collectivité, peut amener à "faire le Mal".

Même les religions primitives : animisme, chamanisme, fétichisme, totémisme, paraissent pour certaines d'entre elles reprendre, sous d'autres formes, du poil de la bête. L'homme verse facilement dans l'irrationnel. Ainsi la recherche des jouissances et des biens matériels se rapproche d'une sorte d'adoration des objets matériels auxquels on semble attribuer un pouvoir surnaturel, magique et bénéfique : du fétichisme !

Le Dieu unique (monothéisme) cède la place à des divinités multiples ; c'est la renaissance du polythéisme. Les cultes païens idolâtres retrouvent ainsi une seconde jeunesse avec la vénération d'idoles en vogue. Il suffit de suivre cette pente de l'homme à être fasciné par les dieux de la terre (les rois, les souverains, les puissants), les dieux du stade, les dieux du petit et du grand écran..., et par le pouvoir, l'argent, le plaisir.

La mythologie humaine s'enrichit de fables et héros fabuleux. De "nouveaux démons" apparaissent. La superstition, les sciences occultes et le surnaturel, le fantastique ont une cote d'enfer. Toutes sortes de sectes, d'intégrismes, de "totems" et "tabous" modernes menacent des religions et morales traditionnelles. L'on constate même le retour de sacrifices et meurtres rituels. Attention ! le fanatisme est le marchepied de la barbarie.

19/11/2013

Une vie de sauvage

Jean-Claude Barreau et Guillaume Bigot concluent leur livre Toute l'histoire du monde, de la préhistoire à nos jours (Fayard), par cette citation : «En affaiblissant parmi eux le sentiment du bien commun, en dispersant les familles, en interrompant la chaîne des souvenirs, en accroissant outre mesure leurs besoins, on les a rendus moins civilisés qu'ils n'étaient». "Tocqueville parlait de l'influence néfaste de la modernité sur les indiens."

Alexis de Tocqueville a vécu dans la première moitié du XIXe siècle, au début de l'Ère industrielle. Historien et homme politique français, il reste dans les mémoires comme l'auteur d'un ouvrage : De la démocratie en Amérique. Le Petit Robert précise que «Très sensible aux progrès constants de l'égalité, Tocqueville pense cependant qu'il peut découler de la démocratie (...) un redoutable danger, le despotisme de la majorité (...)».

Mais c'est un autre despotisme qu'il évoque dans la citation qui nous intéresse, celui de la modernité, devenue absolue, arbitraire et oppressive. Une modernité qui s'impose à tous sans discussion et force les individus à s'accommoder sans relâche à toutes les "transitions". Et les dégâts énoncés par Tocqueville sont les mêmes constatés aujourd'hui dans nos nations "civilisées" où l'homme "est rendu comme étranger à lui-même".

Les sciences et les techniques même si elles "contribuent au bien-être, à la commodité de la vie matérielle", n'apportent pas à l'être humain de réponses à ses questions existentielles. Les sociétés contemporaines dites développées l'acculent à courir après "les biens de ce monde" pour les accumuler à plaisir, et à courir après les plaisirs pour "se changer les idées", négligeant les biens de nature intellectuelle, spirituelle, esthétique.

Alain écrivait : «Dès que la vie matérielle est bien assurée, tout le bonheur reste à faire». Les pays riches en sont là. En perdant de vue que la seule vraie richesse, c'est l'homme, on a perdu de vue son équilibre physique et mental, et ses nobles aspirations. Et en axant sur les biens de nature matérielle, dans le but d'en produire et faire consommer le plus possible, on a fait de l'homme un moyen matériel, des hommes un "matériel humain".

L'individu ne s'appartient plus. Le type de vie qu'on lui fait mener, a pour effet de le vider. Son for intérieur assailli par toutes les tentations, il est comme sorti de sa nature, bouté "hors de lui" : "en proie à l'agitation, à l'égarement ou à l'extase". Avec l'oubli du bien général, la mobilité de la main-d'œuvre, les familles éclatées, la rupture d'avec le passé, la surconsommation, il se trouve ainsi peut-être moins civilisé que ses ancêtres.