12/07/2013
C'est Mozart qu'on assassine
«Qu'on tourne et retourne comme on voudra l'histoire du monde, il y est clair que les misérables n'ont jamais été aimés pour eux-mêmes. Les meilleurs ne les souffrent ou ne les tolèrent que par pitié. Par la pitié, ils les excluent de l'amour, car la réciprocité est la loi de l'amour, il n'est pas de réciprocité possible à la pitié. La pitié est un amour déchu, avili, un mince filet de l'eau divine qui se perd dans les sables.»
Bernanos, cité ici par Alain Finkielkraut dans L'Humanité perdue - Essai sur le XXe siècle paru au Seuil, a peut-être vu juste pour ce qui est de notre fraternité affichée, ou de notre solidarité comme l'on préfère dire aujourd'hui. Au moment des vacances, où ceux qui le peuvent fuient l'enfer quotidien pour "se retrouver" dans des lieux paradisiaques, il n'est peut-être pas inutile de se rappeler l'humanité souffrante.
Dans ces occasions de repos et de réjouissance, Qui se souvient des Hommes ? pourrait-on dire en empruntant à Jean Raspail, ces hommes dont on se contente de maintenir la tête hors de l'eau mais qui semblent définitivement exclus du cercle des "heureux de ce monde". «Dans quel moule terrible ont-ils passé, marqués par lui comme par une machine à emboutir ?» s'interrogeait Antoine de Saint-Exupéry dans Terre des hommes.
De quoi avons-nous peur qui nous fait faire la charité ? d'un soulèvement qui viserait à renverser le pouvoir établi dont nous nous satisfaisons ? De quelle mauvaise conscience voulons-nous nous laver en donnant ainsi de notre temps et de notre argent superflus ? La charité, parfois même ostentatoire, ne peut nous dispenser d'agir sur les causes de la misère et qui "empêchent les dons, le talent de s'exprimer".
Que faisons-nous de l'enfant plein de promesses étouffé dans l'infortuné ? Ne serions-nous pas comme ces dames d'œuvres ou patronnesses, ces femmes du monde qui se consacraient à des œuvres de bienfaisance, qui patronnaient des fêtes de charité, tout en ignorant ou en jetant un voile pudique sur les responsabilités de leur grand patron de mari et surtout du système économique dont elles bénéficiaient ?
«Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point, écrivait encore Saint-Exupéry. Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur. C'est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné.» Et rien ne pourra lui donner sa chance, l'aider à trouver sa place et lui permettre de mener une vie digne, sinon l'amour qui me le ferait considérer comme un alter ego, un autre moi-même.
10:54 Publié dans Inégalités | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire du monde, misérables, pitié, amour, bernanos, alain finkielkraut, l'humanité perdue - essai sur le vingtième siècle, éditions du seuil, fraternité, solidarité, vacances, enfer quotidien, lieux paradisiaques, l'humanité souffrante, repos, réjouissance, qui se souvient des hommes ?, jean raspail, exclus, heureux de ce monde, antoine de saint-exupéry, terre des hommes, peur, charité, soulèvement, pouvoir établi, mauvaise conscience, temps et argent superflus, causes de la misère, dons, talent, enfant plein de promesses, infortuné, dames d'oeuvres, dames patronnesses, femmes du monde, oeuvres de bienfaisance, fêtes de charité, responsabilités, système économique, soupes populaires, mozart assassiné, chance, place, vie digne, alter ego, autre moi-même | Facebook |
28/06/2013
Quand le rideau tombe
Le 1er juillet 2004 mourait "le plus grand acteur du monde"...
Finalement, ne faut-il pas voir dans l'apparente déchéance de Marlon Brando jusqu'à sa mort, une rédemption ? Peut-être avait-il tout simplement renoncé aux apparences trompeuses du cinéma, et sacrifié les apparences ? Un acteur, pour peu qu'il ne se fasse pas tout un cinéma, sait bien que "Tout ce qui brille n'est pas or" et que "L'habit ne fait pas le moine". Derrière le grand écran, le roi est nu et le génie est fou.
La puérilité, la vanité, la vacuité de son activité, de sa vie professionnelle lui étaient sans doute apparues, et sa lucidité ne l'avait ensuite peut-être plus jamais quitté. Ses apparitions "alimentaires" n'ajoutaient rien à sa renommée acquise. Il avait cessé de "jouer", de "se raconter des histoires", de "faire comme si...", de "faire l'enfant". Finies la comédie et "la comédie humaine" ! Fini de faire miroiter le miroir aux alouettes !
Lassé d'interpréter des rôles, de tenir son rôle, conscient peut-être de la réputation usurpée de son propre personnage, il vivait dit-on reclus dans une villa et en manque de revenus. Frisait-il la folie comme d'aucuns le laissaient entendre ? Ou bien avait-il enfin trouvé le repos après bien des folies ? Pascal pensait que «(...) tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre».
Avait-il alors - libéré du poids de l'avenir - touché au bonheur ? Avait-il atteint par ce détachement choisi, une sorte de sérénité malgré les drames vécus : le meurtre par son fils Christian du compagnon de sa fille Cheyenne alors enceinte, puis le suicide de celle-ci ? Ou la douleur ineffaçable le faisait-elle errer comme une âme en peine, seul et tristement, dans les vestiges des jours, hanté par les fantômes du passé ?
Il devait en tout cas avoir "touché le fond", sans doute pas le fond de la misère, mais certainement le fond du désespoir. Car comme un revenant, revenu de loin et revenu de tout, il paraissait vivre "la mort dans l'âme" et promenait ce regard pénétrant et désabusé sur le monde et sur lui-même, s'acharnant semble-t-il à détruire le mythe dont il était l'objet. Rejetant cette image simplifiée et illusoire ; et tout ce cinéma !
Tirer sa révérence : seul moyen pour l'homme de ne plus être un maillon d'une chaîne, un élément d'un ensemble qui lui échappe et dont il ne peut s'échapper ; sauf par la mort. La mort de Marlon Brando n'aura été en définitive qu'une ultime révérence, lui qui s'était retiré de la vie il y a bien longtemps. Que restera-t-il de lui ? Quelques images. Mais ci-gît personne. L'acteur s'est fait incinérer. Tout n'est que cendre. The end.
10:04 Publié dans Mort | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : 1er juillet 2004, "le plus grand acteur du monde", déchéance, marlon brando, mort, rédemption, apparences, cinéma, grand écran, puérilité, vanité, vacuité, lucidité, apparitions, renommée, jouer, se raconter des histoires, faire comme si, faire l'enfant, comédie, comédie humaine, miroir aux alouettes, rôle, réputation usurpée, personnage, folie, pascal, malheur, bonheur, détachement, sérénité, douleur, âme en peine, vestiges des jours, fantômes du passé, désespoir, la mort dans l'âme, regard pénétrant et désabusé, détruire le mythe, image, tirer sa révérence, tout est cendre | Facebook |
21/06/2013
Un amour plus fort que tout
D'abord un constat : le nombre d'unions (mariages et pactes civils de solidarité) ne cesse d'augmenter. Et puis une question : mais au fait, pourquoi s'unit-on ? La réponse semble évidente : parce qu'on s'aime. Oui, mais qu'est-ce que l'amour ? Et là, la réponse paraît moins simple. Difficile de mettre des mots sur un sentiment, une sensation. Ces mots, des auteurs les ont exprimés pourtant, mais qui s'en souvient encore ?
Car tout a été dit depuis belle lurette. Dans le monde gréco-romain ou judéo-chrétien, les sages n'ont pas manqué il y a des milliers d'années pour transmettre aux hommes le fruit de leurs réflexions. Et ce fruit avec le temps a gardé mystérieusement tout son jus, toute sa saveur. Si «C'est au fruit qu'on connaît l'arbre», c'est-à-dire si c'est à l'œuvre qu'on peut juger l'auteur, alors certains auteurs méritent le panthéon.
Et parmi ces grands hommes dont il nous faut conserver la mémoire, un juif, un citoyen romain de culture grecque, un chrétien a marqué de son empreinte notre civilisation. Il s'appelle Saul, de Tarse, et l'Eglise en a fait un saint. Sur l'amour, saint Paul a ainsi écrit un texte définitif qui a près de deux mille ans. L'historien Alain Decaux dans L'avorton de Dieu, Une vie de saint Paul*, le cite et le place au centre du message chrétien.
«J'aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel, s'il me manque l'amour, je ne suis qu'un cuivre qui résonne, une cymbale qui retentit. J'aurais beau être prophète, avoir la science de tous les mystères et de toute la connaissance (...), s'il me manque l'amour, je ne suis rien. J'aurais beau distribuer tous mes biens aux affamés, j'aurais beau me faire brûler vif, s'il me manque l'amour, cela ne me sert à rien.
«L'amour prend patience, l'amour rend service, il ne jalouse pas, il ne se vante pas, il ne se gonfle pas d'orgueil, il ne fait rien de laid, de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, il n'entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l'injustice, de ce qui est mal, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai. Il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il, endure tout. L'amour ne passera jamais.»
Cet extrait de la première Épître aux Corinthiens est lu régulièrement lors des mariages religieux. Mais qui l'écoute encore dans ce monde "à l'opposé", où l'amour et l'humanité semblent comme "éteints" ? Pourtant le secret de la vie à deux et ensemble y réside. Et il suffirait que l'homme "trouve son chemin de Damas" comme saint Paul, se convertisse à cet amour vrai, plus fort que tout, pour revivre et changer la face du monde.
* Éditions France Loisirs
11:56 Publié dans Amour | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : unions, mariages, pacs, amour, sentiment, sensation, monde gréco-romain, monde judéo-chrétien, sages, auteurs, c'est au fruit qu'on connaît l'arbre, juif, citoyen romain, culture grecque, chrétien, saul, tarse, saint paul, alain decaux, l'avorton de dieu-une vie de saint paul, éditions france loisirs, au centre du message chrétien, épître aux corinthiens, mariages religieux, humanité, secret de la vie à deux et ensemble, trouver son chemin de damas, se convertir à cet amour vrai, plus fort que tout, revivre et changer la face du monde | Facebook |