23/11/2012
Redistribuer les richesses
La semaine de la solidarité internationale du 17 au 25 novembre vient à point nommé nous rappeler les faits. Les faits sont têtus, ils nous répètent que malgré nos sujets de mécontentement, nous sommes des privilégiés parmi les un peu plus de sept milliards d'êtres humains vivant sur terre.
Un ex-rédacteur publicitaire, Frédéric Beigbeder, mettait ainsi en parallèle ces faits dans un roman titré 99 F paru chez Grasset en 2000. En accord avec Rainer Werner Fassbinder, «Ce qu'on est incapable de changer, il faut au moins le décrire», cet auteur dressait le portrait de notre société de consommation, repue, indécente et décadente.
«En 1998, chaque ménage français a dépensé en moyenne 640 francs par semaine pour son alimentation. Coca-Cola vend un million de cannettes par heure dans le monde. Il y a vingt millions de sans-emploi en Europe.»
«Barbie vend deux poupées par seconde sur terre. 2,8 milliards d'habitants de la planète vivent avec moins de deux dollars par jour [environ 15 F]. 70 % des habitants de la planète n'a pas le téléphone et 50 % pas l'électricité. Le budget mondial des dépenses militaires dépasse 4 000 milliards de dollars, soit deux fois le montant de la dette extérieure des pays en voie de développement.»
«La fortune personnelle de Bill Gates équivaut au PIB [produit intérieur brut] du Portugal. Celle de Claudia Schiffer est estimée à plus de 200 millions de francs. 250 millions d'enfants dans le monde travaillent pour quelques centimes de l'heure.»
«Tous les jours, les 200 plus grandes fortunes du monde grossissent de 500 dollars [3800 F] par seconde.»
«Le chiffre d'affaires de General Motors (168 milliards de dollars) équivaut au PIB du Danemark.»
Depuis, l'euro est arrivé et le roman de Frédéric Beigbeder est titré 14.99 €. Mais d'autres chiffres ont changé. Dorénavant, chaque ménage français dépense en moyenne 113,65 € par semaine pour son alimentation, soit 100 francs de plus qu'en 1998. Coca-Cola vend 2,8 millions de cannettes par heure dans le monde (+ 280 %). Il y a vingt-cinq millions de sans-emploi en Europe (5 millions supplémentaires).
Barbie vend deux poupées et demie par seconde sur terre. 3,4 milliards d'habitants de la planète vivent avec moins de deux dollars par jour (+ 600 millions ; 48 % de la population mondiale). 25 % des habitants de la planète n'a pas le téléphone... portable (inversement en quinze ans) et 25 % pas l'électricité (- 25 points). Le budget mondial des dépenses militaires dépasse 1700 milliards de dollars (contre 834 milliards en 1998 et non comme indiqué par Frédéric Beigbeder 4000 milliards), et le montant de la dette extérieure (publique et privée) des pays en voie de développement est de 3900 milliards de dollars (quasi doublement).
La fortune personnelle de Bill Gates équivaut au PIB du Sultanat d'Oman (66 milliards de dollars "seulement". Bill Gates donne beaucoup de son superflu). Celle de Claudia Schiffer est estimée à plus de 600 millions de francs (120 millions de dollars ; + 300 %). 215 millions d'enfants dans le monde travaillent (35 millions de moins).
Les 200 plus grandes fortunes du monde totalisent 2700 milliards de dollars (un peu plus que le PIB de la France).
Le chiffre d'affaires (CA) de General Motors (150 milliards de dollars) équivaut au PIB de la Hongrie. Et c'est le CA de la China National Petroleum (350 milliards de dollars) qui équivaut désormais au PIB du Danemark. En fait, General Motors a été supplantée par Toyota Motor (235 milliards de dollars) et Volkswagen (221 milliards de dollars). La plus "grande" entreprise mondiale étant la Royal Dutch Shell avec un CA de plus de 480 milliards de dollars.
Mais parmi ces "milliards", il ne faudrait pas oublier les neuf millions de Français vivant en dessous du seuil de pauvreté (voire douze millions si l'on adopte les critères de la commission européenne). La misère de proximité semble moins faire recette. Comme si l'éloignement la rendait plus émouvante ou plus supportable. «Les oubliés de la croissance» comme les appelait en 2000 le Secours Catholique, aujourd'hui les "en-trop" ou les sous-prolétaires de la société, sont des êtres humains uniques qui réclament plus que de la solidarité : un véritable partage des richesses.
13:46 Publié dans Redistribution | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : semaine de la solidarité internationale, frédéric beigbeder, 99 f, 14.99 €, grasset, dépenses alimentaires, coca-cola, sans-emploi en europe, barbie, moins de 2 dollars par jour, téléphone, électricité, dépenses militaires, dette extérieure des pays en voie de développement, bill gates, claudia schiffer, travail des enfants, les 200 plus grandes fortunes du monde, general motors, china national petroleum, toyota motor, volkswagen, royal dutch shell, 9 millions de français en dessous du seuil de pauvreté, secours catholique, solidarité, partage des richesses | Facebook |
09/11/2012
Ordre ou désordre, moral ou amoral ?
On a peine à croire qu'en 2002 à la même époque l'on était, à entendre certains dans les médias, en train de vivre un «retour à l’ordre moral». Mais au fait, qu'est-ce que «l’ordre moral» ? Voilà en effet une formule qui fait trembler sans réelle raison. Mêlant leurs propres fantasmes à des idéologies à peine voilées, des libertaires y allaient de leur refrain, sûrs qu'il serait repris par les "bien-pensants", toujours prompts à hurler avec les loups contre toute mesure «liberticide».
L'expression «Ordre moral» date en fait de son instauration en 1873 au début de la Troisième République, par le maréchal de Mac-Mahon et le duc de Broglie. Cette politique «conservatrice, antirépublicaine et cléricale» se caractérisait par «l'épuration de l'administration et le renvoi de maires républicains». Sans oublier les pèlerinages officiels des députés conservateurs (cf. Histoire de France, au Seuil).
Pierre Miquel dans son Histoire de la France, de Vercingétorix à Charles de Gaulle chez Marabout, précise qu'«Il s'agissait de rétablir Dieu dans l'Etat, dans la cité, dans la famille (...). Les enterrements civils étaient interdits de jour. Les débits de boisson, ces antres du radicalisme rural, étaient soumis à une stricte surveillance. Les journaux républicains (...) étaient interdits à la criée».
«Les assomptionnistes et les autres ordres religieux (...) multipliaient les processions, plantaient solennellement des croix dans les villages (...).» Etc. Finalement, la restauration échouera, la République triomphera et le socialisme progressera avec les suites que l'on sait. Reconnaissons que l'on est loin de la situation de 1873 et qu'aujourd'hui, l'on en serait plutôt à déboulonner les croix.
Le «retour à l’ordre moral» n'est donc pas pour demain. L'on vit au contraire une époque d'inversion des valeurs, où ce qui était beau, bien, vrai... ne l'est plus pour une part. Les "bons principes" et Dieu n'y ont plus leur place. La morale et l'ordre y sont relatifs, la permissivité quasi absolue. La société de consommation approuvant cette amoralité bien arrangeante puisqu'autorisant tous les commerces.
La conclusion (ironique) revient au magazine Marianne. «Ordre moral : système oppressif qui caractérise une société où les films porno sont diffusés à la télévision, où les sex-shops sont plus nombreux que les librairies, où les récits d'orgasmes se transforment mécaniquement en succès littéraire, où les amours dans une piscine sont programmées en prime time et où Bouvard anime "Les grosses têtes".»
10:48 Publié dans Ordre moral | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : retour à l'ordre moral, fantasmes, idéologies, libertaires, "bien-pensants", mesure liberticide, troisième république, mac-mahon, duc de broglie, histoire de france, pierre miquel, restauration, république, socialisme, inversion des valeurs, "bons principes", dieu, morale, ordre, permissivité, société de consommation, amoralité, commerces, magazine marianne | Facebook |
02/11/2012
Fumeur ou pas, il faut payer
«Nuit gravement à la santé», «Fumer provoque le cancer». Voilà ce que nous pouvons lire sur les paquets de cigarettes en vente libre dans tous les bureaux de tabac. Pourtant les fumeurs ne semblent pas hésiter une seconde à saisir de l'index et du pouce l'unique objet de leur futur ressentiment, car au jeu de cette roulette russe à multiples cartouches, un sur deux en mourra à coup sûr.
Mais leur dépendance est telle que même le plus alarmant des avertissements ne saurait les dissuader de se tuer à petit feu. "Il faut bien mourir de quelque chose" répètent à l'envi ces accros de la nicotine ; puisque l'on sait que la cigarette n'est que l'instrument fournissant à chaque bouffée une dose de ce puissant alcaloïde du tabac, véritable drogue agissant sur le système nerveux.
Des cigarettiers américains non moins puissants ont été condamnés lourdement pour avoir notamment menti sur la teneur en nicotine ou, plus précisément, l'avoir rendue plus active en la traitant avec de l'ammoniac. En France, la responsabilité des fabricants et distributeurs n'a pas été engagée, et ne le sera sans doute pas, en partie grâce aux deux formules magiques citées au début.
Elles permettent en effet d'invoquer le libre arbitre des fumeurs, dont on sait pourtant que la volonté est sous l'emprise à la fois de pressions psychologiques et de la cigarette elle-même. La toxicité de cette dernière est par ailleurs si élevée que, suivant la classification, sa vente devrait être réglementée. Mais toute prohibition serait, paraît-il, vouée à l'échec, alors va pour "laisser aller".
L'argument de la liberté n'est qu'un rideau de fumée masquant des intérêts financiers et économiques bien plus importants. Dans la balance, les fumeurs ne pèsent pas plus lourd que la fumée de leur cigarette ou le mégot qu'ils écrasent du talon. Leur seule chance est d'avoir un sursaut de volonté pour arrêter ou suivre un traitement en vue de leur désintoxication, afin de recouvrer la liberté et la santé.
Sinon, à jouer avec le feu, à griller la vie par les deux bouts, celle-ci partira en fumée. Les goudrons et autres poisons se chargeront de la consumer prématurément, avant les soins d'urgence et l'agonie souvent inévitable, aux frais des contribuables et des assurés. Fumeur ou pas, personne n'a le choix et cette histoire n'a pas de morale, si ce n'est celle-ci : à la fin, il faut toujours payer.
11:25 Publié dans Santé | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fumer, cancer, paquets de cigarettes, en vente libre, bureaux de tabac, fumeurs, un sur deux en mourra, dépendance, accros de la nicotine, drogue, cigarettiers, fabricants, distributeurs, responsabilité, libre arbitre, volonté, pressions psychologiques, toxicité, intérêts financiers et économiques, traitement, désintoxication, liberté, santé | Facebook |