01/02/2013
Consentir des sacrifices pour réussir
Un philosophe et professeur, ministre alors de l'Education nationale, de la Jeunesse et de la Recherche, Luc Ferry, s'interrogeait dans un livre paru chez Grasset en 2002 : «Qu'est-ce qu'une vie réussie ?». A sa sortie, le magazine Le Point sondait les Français. 90 % d'entre eux avaient le sentiment d'avoir réussi ou d'être en train de réussir leur vie et 74 % pensaient que réussir sa vie, c'était avoir une famille heureuse.
II semble difficile d'affirmer avoir ou non réussi sa vie avant de passer de vie à trépas. Une parole, une action peut venir bouleverser le bilan d'une vie jusqu'au dernier moment. On ne juge le parcours qu'à l'arrivée. De plus - sans parler des événements fortuits - chacun de nous est libre à tout moment de changer de vie. Une vie réussie pourrait être ainsi une vie librement choisie et pleinement vécue.
Autre enseignement : pour les Français, «mieux vaut réussir sa vie que réussir dans la vie». Mais, par choix ou par nécessité, de plus en plus de couples semblent s'être lancés le défi de réussir les deux, à deux. Cet été-là, L'Express scrutait ainsi ces couples qui jonglent avec vie familiale et vie professionnelle (les trois quarts des couples âgés de 30 à 54 ans comptaient deux actifs en 1998 ; pareil en 2011).
Il en ressort que "courir deux lièvres à la fois" a un coût. Un coût humain que la société fait payer à certains de ses membres, par intérêt ou inconscience. Robert Neuburger, psychiatre, constatait : «Je rencontre deux types de patients : des jeunes avec deux ou trois enfants, en pleine ascension dans leur métier, qui n'ont plus de temps pour eux et dont le couple n'a plus d'espace pour exister ;
... des personnes plus âgées, dont les rejetons ont quitté le nid, qui ont tout - maison, résidence secondaire - mais qui prennent conscience que leur couple est devenu une coquille vide». L'on peut redouter que, s'ils n'y prennent garde ou s'ils ne se séparent en chemin, les premiers seront les seconds vingt ans plus tard. Et que dire quand la concurrence s'installe au sein même du couple !?
Les plus exposés : les jeunes cadres. Les premières victimes : leurs enfants. La compétition interne tournant au conflit quand il s'agit de se répartir les tâches, d'autant plus si les grands-parents sont loin. Une solution (si "famille heureuse" veut dire "vivre ensemble") : la coopération. La solution : si possible le renoncement de l'un, pour une part et un temps, à soi-même. Un sacrifice qui est aussi un don. Réussir sa vie, c'est peut-être aussi aider l'autre à réussir la sienne.
11:26 Publié dans Sacrifice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : luc ferry, qu'est-ce qu'une vie réussie ?, éditions grasset, magazine le point, réussir sa vie c'est avoir une famille heureuse, vie librement choisie, vie pleinement vécue, mieux vaut réussir sa vie que réussir dans la vie, magazine l'express, couples, vie familiale, vie professionnelle, le psychiatre robert neuburger, plus de temps pour eux, couple qui n'a plus d'espace pour exister, couple qui est devenu une coquille vide, concurrence, compétition interne, conflit, répartition des tâches, vivre ensemble, coopération, renoncement à soi-même, sacrifice, don, aider l'autre à réussir sa vie | Facebook |
22/01/2013
Sauver un homme, c'est sauver l'humanité
La mort d'un homme pour le monde n'est rien, mais pour sa famille, c'est la fin du monde. Il en alla ainsi de cet homme âgé d'une trentaine d'années, décédé de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en 2002. Ce qui porta à quatre alors le nombre officiel de victimes en France. Son épouse porta plainte pour «empoisonnement», comme les autres familles. Dans l'indifférence générale.
Personne n'a dit la douleur de cette femme confrontée à la lente dégénérescence de l'homme qu'elle aimait, du handicap léger au coma en passant par tous les stades dégradants qui font d'un familier progressivement un étranger. Réduit à l'état d'une plante s'enfonçant dans les sables mouvants d'une mort bientôt souhaitée, il est parti sur la pointe des pieds dans la solitude du désespoir.
Personne n'a dit la révolte de cette femme confrontée au deuil et à la détresse, aux soupçons de fautes et de fraudes, aux dissimulations de ceux qui savaient, à la lenteur de la justice. Elle n'a pu compter que sur elle-même et sa famille, quelques magistrats et avocats, pour tenter d'obtenir réparation de cette perte irréparable, et surtout pour que justice soit rendue.
Personne n'a dit le découragement de cette femme confrontée aux efforts des uns et des autres pour échapper à cette justice, se disculper, utiliser tous les ressorts du droit afin que la loi ne passe pas. Elle a dû s'armer de détermination et puiser dans ses ultimes ressources pour respecter son engagement pris au nom de cet homme sacrifié à d'autres enjeux, d'autres intérêts.
Personne n'a dit l'apaisement de cette femme si elle a pu parvenir à un jugement favorable ou plutôt à une indemnisation. Elle a pu alors essayer de tourner la page, envisager peut-être un nouveau départ dans cette vie qui continuait malgré tout. Sans oublier celui qu'elle avait promis un jour d'aimer dans la joie ou dans la peine, pour le meilleur et pour le pire, jusqu'à ce que la mort les sépare.
Sans considération pour toute vie humaine, il n'y a pas d'humanité réelle. Les chiffres "rassurants" ne disent rien du malheur qui frappe des familles isolées, comme inexistantes. Car on les entendait les spécialistes de la relativisation : «quatre, cela ne fait que quatre», qui disent aujourd'hui «27, cela ne fait que 27», avec deux nouveaux cas en France en 2012. Il n'y aura pas progrès tant qu'une seule vie perdue ne sera pas considérée comme un malheur pour la famille humaine tout entière.
10:32 Publié dans Respect de la vie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mort d'un homme, monde, famille, nouvelle variante de la maladie de creutzfeldt-jakob, victimes, empoisonnement, indifférence, douleur, dégénérescence, mort, solitude du désespoir, révolte, deuil, détresse, fautes, fraudes, dissimulations, réparation, perte irréparable, justice, découragement, ressorts du droit, loi, homme sacrifié, enjeux, intérêts, apaisement, jugement, indemnisation, tourner la page, nouveau départ, considération pour toute vie humaine, chiffres "rassurants", malheur, relativisation, progrès, une seule vie perdue, famille humaine | Facebook |
18/01/2013
Un siècle de révolution agricole
«1900-2000 : cent ans de survie pour les paysans de France, un siècle de combats incessants pour maintenir sur les terres ceux qui en tirent les richesses, depuis qu'il existe une France, depuis mille ans». Ainsi commence le livre de Pierre Miquel, La France et ses paysans - Une histoire du monde rural au XXe siècle, qui paraissait début 2001 aux Editions de l'Archipel.
Alors professeur émérite à la Sorbonne et spécialiste de l'histoire du XXe siècle, Pierre Miquel, mort depuis en 2007, brosse la peinture de la France agricole des cent dernières années dans un ouvrage illustré de photographies et qui se lit comme un roman. Et il faut dire que ce livre tombait à pic à l'entrée de ce XXIe siècle qui sera urbain et qui ne sera pas sans remise en cause des pratiques et du rôle de l'agriculteur.
Pierre Miquel parcourt le siècle en six chapitres de La carte agricole de la France à La mondialisation en passant par La commotion de la Grande Guerre (1910-1929), La crise et la Seconde Guerre (1929-1945), Le productivisme des années 50 et La révolution silencieuse. Dans son avant-propos, il trace à grands traits le portrait d'une vie rurale séculaire emportée par cent ans de conflits et de mutations.
Jusqu'à ce constat : «Ceux qui se placent, par leur production, au deuxième rang des exportations françaises sont une catégorie sociale en voie d'extinction, comme si la terre n'avait plus besoin d'eux pour offrir ses richesses, comme s'ils étaient de trop». Pourtant rappelle Pierre Miquel, le paysage français au sens large doit tout aux pagani, habitants du pagus (le "pays"), plus tard appelés "paysans".
Les paysans du début du XXe siècle ne sont pas une classe uniforme : «Pour 2 millions de propriétaires, (...), exploitant directement leurs terres, (...), on distingue environ 1 million de fermiers, 344 000 métayers, près de 2 millions de domestiques de ferme. Avec les salariés et les régisseurs, on évalue à 6 663 135 l'effectif des paysans vivant directement de la terre, sans compter leurs familles».
Durant la première moitié du siècle, l'agriculture est «restée peu ou prou ce qu'elle était avant 1914 : une activité de subsistance, dont la petite propriété était l'âme». Tout allait changer ensuite jusqu'au secteur agricole d'aujourd'hui, moderne et productif, où il y a une douzaine d'années 700 000 chefs d'exploitation et 320 000 salariés suffisaient, et maintenant respectivement 480 000 (dont co-exploitants et autres actifs familiaux) et 200 000 (dont saisonniers). Histoire d'un bouleversement complet dont on évalue difficilement les suites, parmi lesquelles l'hypothèse d'un réinvestissement dans le secteur primaire, d'une sorte de "retour à la terre", n'est pas exclue.
11:23 Publié dans Environnement/Agriculture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre miquel, la france et ses paysans, une histoire du monde rural au vingtième siècle, éditions de l'archipel, pratiques et rôle de l'agriculteur, carte agricole, grande guerre, crise, seconde guerre, productivisme, révolution silencieuse, mondialisation, vie rurale séculaire, cent ans de conflits et de mutations, deuxième rang des exportations françaises, catégorie sociale en voie d'extinction, activité de subsistance, petite propriété, secteur agricole d'aujourd'hui moderne et productif, chefs d'exploitation, salariés, retour à la terre | Facebook |